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RECHERCHES
ET
NOUVELLE ÉTUDE CRITIQUE
SUR LES
BECCEILS DE DROn CANO?i ATTRIBUÉS A YVES DE CHARTRES
K. DE SOTB et FILS, imprimeurs, plaoe du Fanthéoa, 5.
LE DROIT CANON AU ONZIÈME SIÈCLE
SUR LES
RECUEILS DE DROIT CANON
ATTRIBUÉS A YVES DE CHARTRES
THÈSE
POUR LE DOCTORAT EN THÉOLOOIE
PRÉSENTÉE
A LA FACULTÉ DE PARIS, EN SORBONNË
PAR
M. L'ABBÉ J.-R. MENU
LICENCIÉ EN THÉOLOGIE, LICENCIÉ ES LETTRES
AUMONIER DU LYCÉE LOUIS-LE-GRAND
Est in potestate judicis molllre sententlam
et mitiùs vindicare quam leges. Yves. Prol.
Ex. S. Aug. (Ep. ad MarcellinJ .
PARIS
BERCHE & TRALIN, ÉDITEURS
69, RUE DE RENNES, 69
UDC CCLX XX
BEb 25 1952
SA GRANDEUR MONSEIGNEUR GILLARD
ÉVÉQ.UE D'HIPPONE ET DE CONSTANTINE
HOMMAGE DE PROFONDE VÉNÉRATION ET DE RECONNAISSANCE
J. R. M.
AVANT-PROPOS
Le premier mot de notre titre ne manquera pas
sans doute d'étonner le lecteur : présenter, au temps
oii nous vivons, une thèse sur le droit canon, et sur-
tout sur le droit canon au moyen âge, cela ne s'ex-
plique guère, du moins au premier abord.
En effet, l'étude de cette science que l'on cultive
avec tant de soin dans certains pays voisins du nôtre
n'obtient pas en France la même faveur. L'impossibi-
lité ou du moins la difficulté d'en observer pratique-
ment les règles, dans beaucoup de cas, nuit sans doute
à l'enseignement théorique.
Il n'en est pas de même à Rome, mère et gardienne
des traditions catholiques, ni en Allemagne où les
écrivains, les savants, amateurs passionnés du passé,
se font un plaisir et une gloire de rechercher les ori-
gines et de suivre à travers les siècles, les développe-
ments d'une science qui renferme, en grande partie,
— VIII —
la vie de l'Église (1). Je ne voudrais pas dire cepen-
dant qu'en France, on se désintéresse complètement
des questions qui se rapportent à l'étude du droit ca-
non. A plus d'une reprise, des écrivains de notre pays
s'en sont sérieusement occupés, et ont fait preuve
d'une grande érudition (2).
Mais, dira-t-on peut-être, dès là qu'on veut traiter
du droit canon au moyen âge, pourquoi ne pas étudier
Gratien dont le Décret fait autorité dans la science et
dans l'Église? N'est-ce pas de lui qu'on date pour établir
les différentes divisions de l'histoire du droit canon?
Son ouvrage n'est-il pas comme la base fondamentale de
cette science, puisqu'il a servi à former la première
partie du Corpus juris canonici? Ces réflexions sont
assez justes; mais, ne peut-on pas faire observer d'a-
bord que le Décret de Gratien a été déjà le sujet de
nombreuses et savantes études? ensuite, que l'auteuj
n'a pas tiré son œuvre tout entière de son propre
fonds, mais qu'il a, comme ses prédécesseurs, puisé à
des sources très nombreuses? S'il en est ainsi, n'est-il
pas utile et même nécessaire d'étudier ces sources,
(1) Il se publie, en Allemagne, une Revue spéciale qui ne traite
que du droit canon; elle est intitulée : Archiv fur das Kirchenrecht ,
treize volumes ont déjà paru. Cette revue s'occupe surtout des col-
lections inédites qui se trouvent dans les bibliothèques de Paris, de
Vienne, de Berlin et principalement dans celle du Vatican. Il y en
a encore paraît-il, près de vingt-cinq à trente qui n'ont jamais vu
le jour et qui ont été signalées par le savant Thciner.
(2) Voir dans la Revue des Questions historiques (année 1866, 2" li-
vraison et année 1867, livraison janvier 1867), un excellent travail
sur les fausses Dccrétales.
— IX —
afin de mieux apprécier le mérite de l'illustre profes-
seur de Bologne?
C'est ce qu'ont pensé et exécuté, il y a longtemps
déjà, des hommes graves et amis des travaux sérieux :
les Doujat (1), les Baluze (2) et d'autres savants du
dix-septième siècle.
Or, une des premières figures qu'ils ont rencontrées
a été celle du docte et vénérable Yves de Chartres; la
première source oii l'auteur du Décret ait puisé, a été
l'œuvre de notre savant canoniste : c'est par elle qu'ils
ont commencé.
D'ailleurs, ils avaient été déjà précédés dans cette
voie, puisque dès la fin du quinzième siècle, c'est-à-
dire moins de soixante ans après la découverte de
Gutenberg, nous voyons apparaître la première édition
de la Panormie (3), et un demi siècle plus tard, celle
du Décret (4).
Au dix-huitième siècle, les auteurs de VHistoire lit-
téraire qui s'étaient donné la mission de recueillir tout
ce qui pouvait relever nos gloires françaises ne man-
quèrent pas d'étudier et de faire valoir les œuvres du
docte évêque de Chartres (5).
A la même époque, un de leurs savants confrères,
un bénédictin de Saint-Germain des Prés, D. Gellé
(1) J. Doujat, Prœnotiomon canonicorum lib. V, Paris 1G87. iii-4°.
(2) Steph. Baluze, De Emendatione Gratiani. Paris 1672, in-8°.
(3) A Bâle en 1499, in-4".
(4j A Louvaia en 1561, in-fol.
(5) Histoire littéraire de la France, t X, p. 117 et suiv.
— X —
frappé des fautes et des erreurs nombreuses qui s'é-
taieut glissées dans les éditions du Décret et de la
Panormie, entreprit un examen minutieux des textes,
et il eût donné certainement une édition plus correcte
et plus digne de notre auteur; mais la mort, sans
doute, vint interrompre son œuvre (1).
Enfin, dans notre siècle oiî, pour éclairer toute
question historique ou littéraire on aime à recourir aux
sources, les recueils d'Yves de Chartres devaient four-
nir un nouveau sujet d'étude.
En effet, un Allemand qui pourrait difficilement re-
nier son origine française, M. de Savigny, écrivain et
jurisconsulte distingué, après avoir étudié le droit
romain au temps des empereurs, voulut savoir ce qu'il
était devenu à travers ce qu'on a appelé les ténèbres du
moyen âge. Or, pour retrouver les traces des lois ro-
maines, à cette époque, il n'y avait qu'un seul moyen :
recourir aux recueils de droit canon. Car, au temps
dont nous parlons, le droit civil et le droit ecclésias-
tique étaient confondus : les lois de l'Église étaient les
mêmes pour la société civile que pour la société reli-
gieuse ou plutôt, il n'y avait alors qu'une seule société :
la société chrétienne ; on ne connaissait point la dis-
tinction qui s'est établie depuis et qui s'accentue
chaque jour davantage; on ne se doutait même pas
qu'elle pût exister.
(1) On peut voir à la Bibl. nat. (nouv. fonds lat.), sous les n»' 12317
et 12318, les deux mss. qui devaient servir à cette édition.
XI —
De Savigny aurait pu compulser le Décr^et de Gratien
et y trouver de nombreux fragments des lois romaines :
ce qu'il a fait depuis; mais auparavant, il tint à re-
monter à la source même oià avait puisé l'illustre ca-
noniste, c'est-à-dire à Yves de Chartres, qui le premier
en France, avait composé un recueil de droit canon
et y avait inséré un assez grand nombre de lois ro-
maines (1); c'était reconnaître à notre évêque de
Chartres, l'autorité et l'importance de ses ouvrages,
du moins au point de vue historique.
M. Ampère qui a donné de si excellentes études sur
YHistoire littéraire de la France avant le douzième
siècle, n'a point pu, lui non plus, éviter la grande figure
d'Yves de Chartres, ni passer sous silence ses ouvrages
de droit canon : il les regarde comme un monument du
génie et de l'État de l Église à la fin du onzième siècle (2).
Et c'est surtout à ce point de vue historique que les
œuvres de l'évêque de Chartres ont la plus grande
importance. Ces recueils ne paraissent renfermer
qu'une sèche nomenclature de lois et de règles ecclé-
siastiques, mais par cela même qu'ils nous donnent
et les décisions des pontifes romains et les canons des
conciles, et les coutumes et les mœurs du temps, ils
retracent à nos yeux toute l'histoire intime et exté-
rieure de l'Église. Or, cette histoire n'est-elle pas à
(1) De Savigny, Histoire du droit romain an moyen âge, 4 ia-8°.
Paris, 1837.
(2) Ampère, Histoire littéraire de la France, sous Gharlemagne et
durant les dixième et onzième siècles, t. III, p. 381, in-12.
— XII —
elle seule toute l'histoire du moyen âge? Y en a-t-il
une autre en dehors d'elle? La passer sous silence
et la supprimer, mais ce serait supprimer l'histoire
elle-même et se condamner volontairement à l'igno-
rance. Aussi, tous les esprits sérieux qui ont eu à
traiter des onzième et douzième siècles se sont bien
gardés de laisser de côté les recueils dont nous par-
lons.
Mais, parmi ceux qui se sont le plus occupés d'Yves
de Chartres et des recueils qu'on lui attribue, il faut
mentionner surtout l'Allemand Aug. Theiner, bien
connu dans le monde savant de l'Europe, et auquel le
Pape Pie IX avait confié la direction de la biblio-
thèque du Vatican.
Dès 1832, en collationnant les manuscrits des on-
zième et douzième siècles, il est frappé de la ressem-
blance qui existe entre plusieurs recueils de droit
canon; il reconnaît bientôt que leurs auteurs se sont
copiés les uns les autres. Une de ces collections attira
particulièrement son attention, c'est celle à laquelle il
a donné lui-même le nom de Tripartita. En la compa-
rant au Décret et à la Panormie d'Yves, de Chartres, il
demeura convaincu qu'elle avait dû servir de base et
de matière première à ces deux ouvrages (1). Il se mit
alors à étudier le Décret de plus près : était-il antérieur
ou postérieur à la collection Tripartita? que lui avait-
Il) Déjà le savant Doujat, et après lui, les auteurs de VHistoire
littéraire avaient affirmé qu'Yves s'était servi d'un autre recueil.
Histoire littéraire, t. X, p. 121.
— XIII —
il emprunté? son authenticité surtout était-elle bien
fondée? Bref, il arriva à cette conclusion : qu'Yves de
Chartres n'en pouvait être l'auteur (J).
Pour nous, qui depuis longtemps déjà, nous occu-
pions de la vie et des travaux de l'Évêque de Chartres,
cette conclusion excita notre intérêt et notre curiosité :
serait-il donc possible que le Décret qu'on attribue
depuis plus de trois siècles à Yves de Chartres (3) et
qui, en partie, lui a fait sa réputation de canoniste,
ne fût pas de lui? faut-il donc admettre qu'une erreur
de ce genre ait subsisté pendant tant d'années, sans
avoir été relevée par personne? La question nous
parût intéressante à étudier. De plus, nous savions
qu'au dix-septième et au dix-huitième siècle on avait
contesté au même auteur la paternité de la Panormie;
il ne resterait donc plus rien à notre Évêque de Char-
tres. Comment se fait-il alors qu'il ait toujours la
réputation de savant, de grand canoniste Legum peri-
tissimus, et cela non seulement depuis trois cents ans,
mais depuis sept à huit siècles, comme le témoignent
ses contemporains? Comment se fait-il qu'un historien
(1) Aug. Theiner, Ueber Ivo's vermeintliches Dekret. Mainz 1832,
in-8°. (Plaquette). — Disquisifiones in prœcipuas canonum et Decreta-
lium collectiones . Romae, 1836.
Theiner est mort il y a deux ou trois ans à peine. Après bien des
recherches et des études sur le droit canon, on ne voit pas qu'il soit
revenu de son opinion sur le Décret. D'ailleurs, ce n'était pas chez
lui, comme nous le verrons, une affaire d'impression, mais une
opinion fondée sur l'examen des textes et des manuscrits.
(2) La première édition, celle de Louvain remonte à 1561.
— XIV —
mort cinq ans avant lui parle de Vinsigne volumen
canonum qu'il a composé (1)?
Ces points d'interrogation nous inquiétèrent, nous
résolûmes alors de reprendre la question tout entière,
c'est-à-dire d'étudier non pas seulement le Décret,
mais la Panormie et la collection Triparîita, de déter-
miner les rapports qui existaient entre ces trois ou-
vrages et surtout de discuter à fond leur authenticité.
En feuilletant à la Bibliothèque nationale les ma-
nuscrits de D. Gellé, dont nous avons déjà parlé, nos
yeux tombèrent sur un fragment d'une préface dans
laquelle le Bénédictin affirmait avoir en sa possession
(1710) un manuscrit provenant de l'Abbaye de Notre-
Dame de Josaphat près de Chartres, lequel avait dû
appartenir certainement à Yves, et il ajoutait que
« d'après la tradition, on allait jusqu'à lui en attribuer
« la paternité (2). » Puis, il faisait une analyse rapide
du manuscrit, indiquant sommairement la matière et
l'ordre des sujets traités. Après une lecture rapide
nous fûmes immédiatement convaincu que le manus-
crit en question n'était autre que celui de la collection
Tripartita étudiée par Theiner.
Ainsi se trouvait pleinement confirmée l'hypothèse
émise par le savant allemand : à savoir qu'Yves de
Chartres avait eu entre les mains la Tripartita et qu'il
y avait largement puisé.
(1) Voir les témoignages l'ormels que nous citoûs dans le cliap-
premier.
(2) Mss. cité n^ 12317, ibl. 38.
— XV —
Grâce à ce précieux renseignement, ce qui n'était
pour Theiner qu'une probabilité allait devenir pour
nous une certitude; nous n'avions plus qu'à nous
mettre à l'œuvre.
Le grand point de notre thèse, on le voit, est, avant
tout, une question d'authenticité, d'érudition. Aussi
ne nous occuperons-nous pas beaucoup (1) du côté doc-
trinal de ces recueils, ni de leur côté littéraire. Notre
travail est fait surtout au point de vue de la critique
historique, bibliographique. Nous avons dû reprendre
en sous -œuvre les discussions de Theiner et consulter
à notre tour les manuscrits, du moins ceux qu'il nous
a été possible d'avoir sous la main.
Ce travail, malgré ses difficultés et son apparente
sécheresse nous a semblé digne d'attention et plein
d'intérêt. D'abord, nous avions, pour exciter notre
zèle et stimuler nos efforts les hommes considérables
dont nous venons d'énumérer les travaux; ensuite, il
s'agissait d'un ouvrage qui, aujourd'hui sans doute,
n'offre plus qu'un intérêt secondaire, mais qui au point
de vue historique, est, comme le reconnaît M. Ampère,
un témoin et un monument curieux du génie et de l'état
de r Église, à la fin du onzième siècle. Or, il nous semble
qu'il importe à l'histoire de savoir si ce recueil qui
est édité depuis plus de trois cents ans, sous le nom
d'Yves de Chartres, est réellement son œuvre, ou s'il
(1) Nous y consacrons cependant quelques développements. Voir
chap. v« et vi^.
— XVI —
est dû à la plume de quelque compilateur inconnu qui
s'est abrité sous son nom.
De plus, il s'ag-it d'un écrivain qui n'est pas un des
moindres et qui a sa place marquée dans l'histoire
littéraire du onzième siècle, dans cette seconde moitié
qui s'annonçait comme un réveil de l'esprit humain
et faisait pressentir déjà la gloire et l'épanouissement
du siècle suivant. Il s'agit d'Yves de Chartres pour
lequel Bossuet et un grand nombre de nos théologiens
français, au dix-septième siècle, avait la plus haute
estime et la plus grande vénération (1); il s'agit d'un
écrivain, d'un homme, d'un évêque que l'illustre
Baronius ne craint pas d'appeler « la lumière de l'occi-
« dent, lagloire et l'ornement de l'Église de France (3). »
Enfin, ce travail nous fournit l'occasion d'étudier
les recueils de droit canon antérieurs à celui d'Yves
de Chartres, de nous rendre compte de la manière
dont ils ont été composés, de voir quelle place occu-
pait la science du droit canon, dans ces siècles si peu
connus du moyen âge, ce qu'elle était en particulier
à la fin du onzième siècle avant que Gratien ne vînt
lui ajouter Téclat de son talent et de sa renommée.
La solution de ces différentes données nous paraît
digne d'intérêt, aujourd'hui surtout oii l'on aime à
remonter aux sources, oii la critique ne se contente
plus des faits acquis, transmis plus ou moins fidèle-
(1) On sait que Bossuet l'appelle : « Vir y.xvovixôixaTOî. i (Defens .
Clerc. Gallic, pars la, lib. III, c. xiv).
(2i Baronius, Annal, ad an. 1092. N» II.
— XVII —
ment par la tradition, mais veut examiner, scruter,
vérifier par elle-même avant d'énoncer ses affirma-
tions.
Nous avons donc cru, en adoptant cette tâche, rendre
un véritable service à l'histoire de l'Église et à celle
de notre pays; trop heureux, si en réalisant ce dessein,
il nous est donné à nous aussi d'apporter notre pierre
au grand édifice de la critique historique qui sera
certainement, entre autres titres, l'honneur du dix-
neuvième siècle.
CHAPITRE PREMIER
YVES DE CHARTRES CANONISTE
Parmi les belles et imposantes figures que nous présente
l'histoire ecclésiastique, à la fin du onzième siècle, on peut
assurément compter celle d'Yves, évêque de Chartres (1) .
Grand évêque, homme d'une érudition remarquable pour
son temps, esprit ferme et énergique et surtout éminent en
piété : tels sont les traits sous lesquels les auteurs contempo-
rains nous repi'ésentent cette intéressante physionomie.
Dès 1090, c'est-à-dire l'année même de la consécration
d'Yves, le pape Urbain II s' adressant aux fidèles du diocèse
de Chartres loue déjà la science et la piété du nouvel
évêque (2).
Un des écrivains les plus sérieux et les plus dignes de foi de
l'époque, Orderic Vital, contemporain de notre prélat, parle
de lui en ces termes élogieux : (( Eniditissimus Ivo cui per-
(t hibet evidens testimonium laus bonse vitœ et rectse doc-
« trinœ (3). » Et dans un autre endroit : « Floruit Ivo vene-
(1) Yves ué au diocèse de Beauvais vers 1040, fut élevé au siège
épiscopal de Chartres en 1090, et il mourut en H15.
(î) Voir Epist. UrbanlI. Patrologie Lat., t. GLT.
(3) Orderic Vital, Historia Ecclesiastica, lih. VIII.
l
— so-
ft rabilis intcr iwœcijnios Francise Doctores , eruditione
« litterarum tàm divinarum quam sœcidariian (1) . »
Ce témoignage est d'autant plus précieux qu'on sait que
cet historien n'a pas coutume de vanter outre mesure les per-
sonnages dont il parle.
Une preuve évidente de la haute réputation que l'évêque
de Chartres s'était acquise, déjà même de son vivant, c'est la
lettre que Hugues, moine de Fleury, lui adresse au sujet de
deux opuscules qu'il avait composés et qu'il lui envoie :
« Giorioso et sapienti Jvoiii Carnotensi Episcopo frater
a Hugo monach. S. Benedict... hœc omnia vestro desidero
« judicio discuti et vestra sapientiâ condiri quoniam vacil-
« lare non potest qiiod semel auctoritatis vestrœ nodns cor-
« roboraverit. » Un peu plus loin il ajoute : « Viro prudoiti
« et in siimma arce philosophiae sedenti (2). »
Dans un manuscrit de la Bililiothèque de Vienne dont
l'original n'est pas postérieur à l'an H30, l'auteur dit dans la
préface de son ouvrage : (( qu'il a parcouru les bibliothèques
« de beaucoup d'églises, qu'il y a vu des traités d'auteuj's
« remarquables et que parmi ces auteurs il a pris pour mo-
« dèle le traité d'Yves de Chartres (3). » Avant d'écrh*e la
préface de son livre, il place en tête le prologue d'Yves,
comme pour se mettre sous le patronage et le couvert du
grand canoniste. C'est ce qu'il nous dit lui-même en termes
formels dans sa préface : « ut ip}sa (écrit-il en parlant de
« la Panormie d'Yves) totius sacrarii pointa sit atque dux,
« qiio dirigente, quilibet ipsiiis arcana lustrare possit (4) . »
Ces paroles seules prouvent la grande réputation qu'avait
(1) Orderic Yital, Histona Ecdesiastica, lib. X.
(2) C'est cette lettre qui a fait attribuer à Yves de Chartres, une
certaine histoire générale depuis Ninus jusqu'à l'an 1034; mais il
est démontré aujourd'hui, d'après les manuscrits, que cette chro-
nique appartient à l'autour même de la lettre : à Hugues de Fleury.
Voir une savante et solide dissertation sur ce point dans Pertz,
Monument. Germanie, t. IX, p. 341.
(3) Cod. Vindobonens, Jus canoiiic. N° 91, in-4o.
(4) Voir Theiner, Uebei- Yvo's Dekret, p. 32, (note 8).
— 21 —
déjà Yves de Chartres, une quinzaine d'années après sa mort.
Son nom est une date, une époque : aussi un historien alle-
mand Werner de Rollewinck résume-t-il ainsi l'histoire du
Droit-Canon : c Ivo Carnotensis Episcoppus abbreviando
<( compeilavit Decretum aj)ostolicum post Isidontm, et post
<( eiiîn Hugo Catalaimensis, post quem Gratianus (1). »
Ainsi, pour cet écrivain il y a trois grands noms, trois
grandes dates dans cette histoh^e : Isidore qui le premier a fait
un recueil, Yves qui l'a abrégé, et Gratien qui a résumé les
travaux accomplis jusqu'à lui et fait une œuvre personnelle.
Aussi, ne faut-il pas nous étonner qu'un des plus grands
historiens de l'Eglise, le cardinal Baronius parlant d'Yves de
Chartres se laisse aller à l'enthousiasme et le nomme « la lu-
« mière de l'occident, la gloire de l'univers, l'ornement et
« l'honneur de l'Église de France (2) . »
L'autorité d'Yves et sa science sont donc incontestables,
même dès son vivant, et aussitôt après sa mort : les témoi-
gnages que nous venons d'apporter le prouvent suffisamment.
Mais, l'idée qui s'est attachée au nom d'Yves de Chartres
dans l'histoire de l'ÉgUse, la réputation qu'il y a acquise est
celle de grand canoniste : celle-là prime toutes les autres.
Aussi, moins de quarante ans après la mort de l'évêque de
Chartres, le Chroniqueur d'Auxerre le reconnaît-il « comme
« un écrivain très habile dans la science des saints canons et
« des lois civiles (3). »
En effet, Yves tient sa place parmi les grandes figures qui
apparaissent à la fin du onzième siècle, à ce nouveau réveil de
l'esprit humain qui va s'étendre dans tout le douzième et
s'épanouir au treizième avec les Pierre Lombard, les Albert
le Grand et les saint Thomas d'Aquin.
Quand un mouvement soit politique, soit littéraire se pro-
(1) Pistorius, Script, rer. Germ., t. II, p. 545, ad an. 1104. Ratis-
bonfe, 1726, fol.
(2) Lucerna quippè Occidentalis, orbis deciis, ornamentum ac fulgor
ecclestœ Gallicanœ. Baronius Ann. ad an. 1092. N" 2.
(3) Decretorum ac Legum peritissimus , chronic. Antissiodor. an 1154.
9C>
duit chez un peuple, ce n'est jamais au moment où il éclate, ni
clans les hommes ou les auteurs du temps qu'il faut en cher-
cher les causes, mais il faut remonter beaucoup plus haut, et
d'autant plus haut que le mouvement est plus prononcé :
notre histoire en particuher fournirait sur ce point plus d^une
preuve. Si donc on veut se rendre compte du réveil littéraire,
philosophique et théologique du douzième siècle, il faut
remonter plus haut : au moins jusqu'au milieu du onzième.
En effet, c'est vers cette époque que le mouvement com-
mence à se produire. Jusques là les écoles, môme les plus
célèbres, avaient sommeillé quelque peu; le noble élan im-
primé à l'étude des Lettres par Charlemagne s'était bien
ralenti, pendant ce dixième siècle que Baronius appelle
sœculum œneum et jilumhœum et aussi pendant une partie
du onzième.
Mais voici que l'esprit humain se réveille, il devient cu-
rieux, chercheur, se pose des questions ; on commence à étu-
dier de plus près les vérités et les grands mystères de la
religion : la Trinité, l'Incarnation, l'Eucharistie fl), des
discussions s'élèvent de tous côtés, mais on respecte toujours
l'autorité de l'enseignement de l'Église : Abelard et les scolas-
tiques disputeurs n'ont pas encore fait leur entrée en scène.
Néanmoins, même les plus autoritaires comme saint Anselme
et Lanfranc vont imprimer à l'enseignement de la théolo-
gie et de la philosophie une autre direction, une autre
forme.
C'est à l'école du Bec, vers 1040, que va se traduire et se
concentre!' ce mouvement, du moins pour le moment. Lan-
franc et saint Ansehne surtout vont donner à l'étude du
dogme et de la philosophie un cachet plus scientifique, plus
raisonné : on se gardera bien de soulever le moindre doute,
mais on cherchera des explications, on cherchera à justifier
sa croyance par le raisonnement : ce sera le Fides quœrcns
intellcctum. Le dogme et l'enseignement philosophique auront
(I) Voir Guilmoiul, Futroluyie Lai., t. GXLIX.
— 23 —
ainsi leurs représentants dans cette dernière moitié du onzième
siècle.
A côté de saint Anselme, apparaîtra un peu plus tard un
autre évêque à l'esprit moins élevé, moins philosophique, qui
cherchera surtout à dégager de l'étude et de l'enseignement
du dogme la partie morale. Ce sera Hildebert du Mans dont
les nombreux ouvrages exciteront le zèle et l'ardeur de ses
contemporains (1).
Mais le dogme et la morale ne suffisent pas pour constituer
l'enseignement théologique complet : il faut y ajouter ce qu'on
appelle la Discipline, c'est-à-dire un ensemble de règles pra-
tiques qui permettent au professeur et au casuiste de des-
cendre des hauteurs du dogme et de la morale jusque dans
les détails de la vie quotidienne des clercs et des fidèles, en
un mot, un cours de législation pratique. En aucun temps,
l'Église n'a négligé cet enseignement, elle y a toujours
attaché une grande importance : la preuve la plus évidente,
c'est le nombre extraordinaire des conciles et surtout les
très nombreuses prescriptions et canons de ces conciles qui,
le plus souvent, semblent s'occuper presque exclusivement,
de ces règles de la vie pratique.
Or, c'est cette troisième branche de théologie que repré-
sente l'Evêque de Chartres, dans la seconde moitié du on-
zième siècle. Yves fit de l'étude des saints canons, l'objet
de toute sa vie : nous pouvons le constater en parcourant les
détails de sa carrière, depuis son séjour à l'abbaye de Saint-
Quentin, jusqu'à la fin de son épiscopat.
Aussi, tout le monde s'adresse à lui : moines, abbés, cha-
pitres, évêques, rois, et mêmes les Papes, pour connaître
son sentiment et sa décision dans beaucoup de questions qui
appartiennent au droit canon. La collection de ses Lettres,
que nous avons étudiées avec un soin minutieux, nous prouve
la même chose : plus des deux tiers sont des réponses à des
[\] Yoiv Hi^foire littéraire de la France, t. XI, p. 404-412.
— 24 —
consultations qui lui sont adressées (1). Enfin, ses ouvrages
de droit canon nous montrent avec quel soin il avait étudié
ces questions de règles pratiques et quelle était sa science
sur ce point (2) .
C'est donc comme canoniste que nous nous proposons de
présenter Yves de Chartres : nous ne dirons rien de sa vie
dont l'influence fut considérable sur ses contemporains; ni
de ses Lettres qui sont pour la France un véritable monument
historique; ni de ses sermons qui ne sont pas les moindres
de ce siècle ; ni enfin de ses autres écrits qui sont très nom-
breux. Notre travail portera uniquement sur ses ouvrages de
droit canon qui occupent une si large place dans l'histoire
ecclésiastique, avant l'apparition du Décret de Gratien, et
dont la paternité lui a été plus d'une fois contestée. C'est
surtout sur ce dernier point, en particulier, que se concentrera
notre attention : des ouvrages comme le Décret et la Pa-
normie ne peuvent guère s'analyser.
Mais avant d'entrer dans la discussion, il nous semble néces-
saire d'exposer ou du moins de résumer l'histoire du droit
canon jusqu'au temps d'Yves de Chartres et de dire où en
était cette science, au moment où le futur Évêque de Char-
tres, à la tête de l'abbaye de Saint-Quentin, s'occupa d'y
enseigner la théologie et probablement aussi d'y composer
ses ouvrages de droit canon.
Primitivement, l'Eglise ne possédait d'autres recueils des
saints canons que les décisions des conciles transmis fidèle-
ment par la tradition, ainsi que par les écrits des Saints Pères et
des autres écrivains ecclésiastiques. Nous ne parlons pas des
Canons apostoliques (3), ni des Constitutions apostoliques
dont l'authenticité est loin d'être certaine.
La première collection qui apparaisse avec un titre spécial
(1) Nous possédons d'Yves de Chartres, plus de trois cents lettres.
(2) y oh' Histoire littéraire, t. X. p. 117 et suiv.
(3) Ces canons ont été insérés dans le Corpus Juris canonic. à la
suite du Décret de Gratien.
— 25 —
est celle qui fut publiée ou mise en ordre vers le milieu du
sixième siècle (5ZiO), par Denys le Petit et qui est ordinaire-
ment appelée : Codex canonum Ecclesise Romanas (1). Ce
recueil a une importance particulière, en ce qu'il contient
à la fois les canons des conciles tenus en Orient, pendant
le quatrième siècle, et ceux des conciles d'Occident, en
particulier ceux du célèbre concile de Sardique (3Zi7), dont
l'autorité est devenue si considérable dans l'Eglise. Il con ■
tient également les canons des conciles de Carthage recueillis
dans le Code de l'Eglise d'Afrique si important au point de
vue de la tradition, ainsi que les décrétales des Papes du
cinquième siècle, depuis le pontificat de Zozime jusqu'à celui
d'Anastase II (/i98). Cette collection résumait presque la tradi-
tion universelle de l'Église à cette époque; aussi, acquit-elle
bientôt ce degré d'autorité qui s'attache aux œuvres publi-
quement reconnues. L'illustre Gassiodore, auteur contempo-
rain nous apprend « quelle était devenue comme le code de
l'Église romaine (2). » Cette collection porte également dans
l'histoire du droit canon le titre de Collectio Dijonisio-
Adriaiia, par suite de la révision que le pape Adrien I" en
fit faire, à la fin du huitième siècle (3).
Le sixième siècle vit paraître le Regestum Epistolarwn de
samt Grégoire le Grand, qui est un des plus précieux recueils
des éléments du droitecclesiastique.il est peu de matières
importantes dont ce saint pape n'ait eu à s'occuper dans sa
vaste correspondance, et pour lesquelles il n'ait pas donné
une solution.
(1) Le moine Denys, surnommé le Petit, était originaire de la
Scythie; mais il était établi à Rome où il jouissait d'une grande
réputation de science et de vertu.
(2) « Dyonisius canones ecclesiasticos composait quos hodie usa celeher-
rimo Ecdesia Romana complectitur . » Cassiod. Div. Lect. c. xxiii
— IjC Code de l'Église d'Afrique inséré dans la collection de Denys,
fut également reçu au siècle- suivant, par l'Église grecque dans le
fameux Concile Quinisexte ou in Trullo (690).
(3) C'est ce recueil qu'Adrien I"'' envoya à Gharlemagae en 795,
et qui devint le code de l'empire franck et de l'Église gallicane.
~ 2G —
Vers le milieu du septième siècle apparaît une autre col-
lection qui a un nom bien connu dans l'histoire du droit
canon, parce qu'elle a été souvent confondue avec celle du
Pseudo-Isidore : c'est la collection dite Hispanique attri-
buée à saint Isidore de Séville, mort en 636. Elle a ordinai-
rement pour titre : Collectio canonum Ecclesiae universss
Isidoriana. Elle est divisée comme le recueil de Denys en
deux parties : la première comprend presque tous les canons
des conciles cités par cet auteui", plus divers conciles des
Gaules et d'Espagne que ne contient pas le Code des Ca-
nons. La deuxième partie comprend les décrétales des Papes
publiées déjà par Denys, plus les canons du quatrième concile
de Tolède, tenu en 633, et quelques rescrits de saint Grégoire
Grand. Cette collection a reçu dans la suite de nombreux
accroissements (1).
Nous franchissons le huitième siècle tout entier jusqu'au
milieu du neuvième, après Charlemagne, et nous voyons se
produire dans le public la fameuse collection du Pseudo-Isi-
dore ou à' Isidoi'e Mercator dont l'autorité fut si longtemps
incontestée dans l'Église. Nous n'avons pas à discuter ici ni
à examiner cette collection qui contient de si nombreuses
décrétales dont la fausseté est aujourd'hui démontrée (2) ;
mais il est incontestable qu'elle exerça une très grande
influence et jouit d'une immense autorité non seulement au
neuvième siècle mais pendant tout le moyen âge et jusqu'au
seizième siècle (3). Nul écrivain, pendant cette période ne
songea à en contester la légitimité, et aussi voyons-nous tous
les auteurs de recueils ou collections de droit canon copier
sans la moindre hésitation, la séiie de ces fausses décrétales
qui finirent par faire loi dans l'ÉgUse.
(1) Voir 'BdXlçxim, Appendix ad opéra, S.Leouis. Pars m, c. iv et v.
d) On peut consulter avec fruit, les rt'cents travaux faits sur cette
collection dans la Revue des Questions [historiques. (V. Avant-propos,
note 2).
(3) Le cardinal iY/co/as f/e Cnsa mort en l'iG'i, fat le premier parmi
les catholiques qui éleva des doutes sur cette collection.
— 27 —
A peu près vers le même temps (entre 883 et 897), nous
trouvons la collection connue sous le nom de CoUectio A?î-
selmo dedicata (1).
Un autre recueil moins important, qui parut au commen-
cement du dixième siècle, est celui de Reginon de Prûmn{^).
Il fut mis à contribution ainsi que le précédent par les auteurs
qui suivirent, surtout par Burchard, évêque de Worms, dont
nous allons parler.
L'ouvrage de l'Évêque de Worms (3), qui remonte au com-
mencement du onzième siècle (vers 1022), a une véritable
importance, puisque Yves de Chartres, notre auteur, et après
lui Gratien, non seulement y ont puisé à pleines mains, mais
l'ont même reproduit en beaucoup d'endroits, textuellement.
Burchard, lui-même, avait fait de très nombreux emprunts
à la Collection dédiée à knselme; on peut même dire qu'il y
a puisé une grande partie de son recueil : à ce point que sou-
vent en tête des chapitres il a repi'oduit sans y changer un
seul mot, les sommaires et inscriptions qu'il y a trouvés.
Avant lui, on ne connaissait, en France et en Allemagne que
le maigre recueil de Reginon de Priimn ; Burchard le mit à
profit; mais comme il avait vécu en Italie, il eut l'occasion de
connaître la collection de Milan; aussi dans le recueil qu'il
composa et auquel il donna plus d'étendue, il fit entrer tous
(1) La Préface commence ainsi : « Magniftco archipreesuli Anselmo.
— Ballenni, op. cit., pars, iv, ex. — Mss. Sor bonne. N^ 841.
Ce recueil doit dater de la fin du neuvième siècle; car des trois
évêques de Milan qui portèrent le nom d'Anselme, le premier au
commencement du neuvième siècle, le deuxième à la fin de ce même
siècle et le troisième au milieu du onzième, ce ne peut être que le
second. Le premier est trop ancien : le recueil contient des fragments
du jL)d'e«c/o Isidore et deux constitutions de l'empereur Lothaire;et
le troisième serait trop moderne, puisqu'on a de cette collection des
manuscrits qui datent du dixième siècle. L'évèque Anselme auquel
elle est dédiée, doit donc être le second, c'est-à-dire celui qui gou-
verna l'Église de Milan de 883 à 897.
(2) Voici le titre de ce recueil : Reginonis abb . Prumniensis Libriduo
de ecclesiastica disciplina. Paris, 1671.
(3) Burchardi Wormatiensis Decretorum, lib. XX. Paris, 1549.
— 28 —
les décrets et canons que cette collection put lui fournir. Si
donc on voulait chercher dans le recueil de l'Évêque de
Worms, ce qui lui appartient en propre, il faudrait avoir
sous les yeux la collection italienne, comme il l'a eue certai-
nement lui-même.
La collection Cœsaraugiistana, dont on ne connaît pas
l'auteur, date également de la même époque : les manuscrits
qui remontent à la fin du onzième siècle, ne se trouvent qu'en
Espagne, principalement à Saragosse. Quelques auteurs ont
voulu l'attribuer à Hildebert du Mans ; mais il serait bien
étonnant qu'un livre fait par un Français, n'eût que des
manuscrits espagnols; c'est sans doute une ce ces nom-
breuses collections anonymes, qui au onzième siècle, ont surgi
de toutes parts, comme nous le verrons dans la suite de ce
travail.
Enfin, nous arrivons à la Collectio Tripartita (1), ainsi
appelée par le savant Theiner, et qui elle aussi, comme nous
le verrons plus bas, date du onzième siècle (2).
Ce recueil a cela de particulier, qu'il est divisé non pas par
ordre de matières, comme la plupart des autres collections de
cette époque, mais d'après les sources d'où sont tirés les
documents. Ainsi, la première partie contient les Décrétales
vraies ou fausses, dans l'ordre chronologique où elles ont été
écrites ; la deuxième partie renferme les canons des conciles
toujours d'après l'ordre chronologique ; enfin la troisième
partie contient de nombreux extraits des Pères de l'Église,
ainsi que des fragments des lois romaines, le tout divisé en
vingt-neuf rubriques.
(1) Nous consacrons à cette collection, tout un chapitre de notre
thèse. Voir chap. m.
(2) Il y a ici, une raison décisive : c'est que parmi les Décrétales
qui, dans ce recueil, sont mises par ordre do dates, il n'y en a pas
une seule qui soit postérieure à Urbain II (f en 1099).
Consulter sur cette collection : Theiner, TJeber Yvd's Dekret, p. 17-
2G. — Savigny, ouvrage cité, t. II, § 10-5 + % 109. — Ballerini, ou-
vrage cité, pars iv, c. xviii. — Mss, de la Biblioth. nationale. iS"* 3858
H- 3858 a -j- 3858 b + 4282. — Mss de Berlin. (Mss. Lat. N° 197).
— 29 —
Tels étaient les principaux ouvrages et les travaux les plus
connus sur le droit canon, au moment où Yves de Chartres,
sortant de l'école du Bec, fonda avec Gui, évêque de Beauvais,
l'abbaye de Saint-Quentin.
Plein de l'enseignement qu'il avait reçu de la bouche de
Lanfranc et de saint Anselme, Yves, on le devine, surtout
quand on connaît le zèle qui l'animait à l'endroit des choses
de Dieu et de son Eglise, se hâta de transmettre à ses disciples
la doctrine qu'il avait puisée dans la célèbre école.
Il ouvrit certainement, dans la nouvelle abbaye, une école
de théologie (1), et nul doute qu'il n'y enseignât en même
temps le droit canon. Car ces deux sciences, quoiqu'elles
aient fait plus tard l'objet d'un enseignement différent, au
fond se touchent et se tiennent étroitement liées : les pres-
criptions du droit canon découlent des principes de l'en-
seignement dogmatique et moral. La séparation qui a été
faite plus tard de ces deux enseignements, n^existait pas
alors : il suffit, pour s'en convaincre, de jeter les yeux sur
les recueils de droit canon de ce temps là. Voyez la Panormie
d'Yves de Chartres : de quoi traite -t-el le? De Baptismo^ de
Confirmatione^ de Sacramento corporis Domini^ de Pri-
matu Romanee ecclesiœ^ etc.
Est-ce autre chose que de la théologie ?
Yves a donc dû enseigner avec le dogme et la morale, le
droit canon dans son école de Saint-Quentin ; et pour nous
qui avons étudié de près les différentes phases de sa carrière
épiscopale, qui avons essayé d'établir une chronologie cer-
taine dans sa nombreuse correspondance, il nous semble
presque impossible qu'il ait trouvé le temps de composer de
pareils ouvrages, après son élévation à l'épiscopat; il y a
donc tout lieu de supposer qu'il les a rédigés étant encore
Abbé, et qu'ils ne sont que le résumé et l'objet de ses leçons.
(1) Sa longue lettre (Epist. 287), la seule que nous possédions de lui
avant son épiscopat, adressée à l'abbé Haimeri, prouve qu'on s'oc-
cupait beaucoup de théologie à l'abbaye de Saint-Quentin.
— 30 —
L'auteur de la Panormie en dix livres (1), dont nous
parlerons bientôt ne dit-il pas dans sa préface : « Tractatum
« quem venerahilis Ivo Carnotensis luculento admodiim
« sermone dictavit (2) ? » L'auteur de cet abrégé, surtout si
comme le prétend Theiner, c'est Hildebert du Mans (3), devait
savoir si Yves «■ avait dicté ses leçuns. » Personne n'ignore
qu'ils étaient liés d'une étroite amitié : leurs letti es en font
foi.
On pourrait même admettre, sans aller contre la vraisem-
blance des faits, qu'Yves a enseigné à ses élèves le droit civil.
N'avait-il pas assisté aux leçons de Lanfranc à l'école du
Bec? Or, on sait qu'avant de se faire moine, Lanfranc avait
publiquement professé le droit civil à Bologne. Qu'y aurait-il
d'étonnant qu'il ait continué son rôle auprès de ses nouveaux
disciples, et qu'Yves à son tour n'ait transmis à ses élèves de
Saint-Quentin les leçons de son docte maître? Il n'y aurait
rien là d'invraisemblable, surtout si l'on tient compte de la
recrudescence des études du droit civil, au temps où notre
auteur était à la tête de son abbaye {h).
Enfin, quoiqu'il en soit, qu'Yves de Chartres ait enseigné
ou non le droit canon et le droit civil, il y a une chose cer-
taine : c'est qu'il fut un grand canoniste et qu'il est auteur
au moins d'un traité sur le droit canon.
C'est ce premier point que nous voulons avant tout mettre
hors de doute, avant de discuter sur la patei'nité de certains
recueils qui doivent être oui ou non attribués à Yves de
Chartres,
Et ici, les témoignages abondent ; et ces témoignages sont
d'autant plus précieux et plus forts qu'ils sont plus près du
temps où vivait notre auteur.
Nous avons d'abord celui du chroniqueur Sigebert de
(1) Cod. Vinrlobonens. Jas canonic. N" 95.
(2) Thciaer, ouvrage cité, p. 32 (note 8).
(3) Ibid., p. 3C-39
(4) Histoire littéraire, t. VIT, p. 150-152.
— 31 —
Gemblours qui meurt quatre ans avant Yves et dit de lui :
« Ivo Carnotensis episcopus compostât insigne volumen ca-
« nonwn (1) ».
Déjà en 1130, quinze ans après la mort de notre évêque
l'auteur de la vie de Gui évêque du Ma?is raconte que cet
évêque a fait présent à l'église du Mans des Décréta Ivonis (2).
A la même date, nous avons déjà cité l'auteur de la
Panormie en dix livres, qui, non seulement affirme qu'Yves
est auteur d'un recueil de droit canon mais que lui-même a
pris soin d'abréger ce recueil en le suivant pas à pas (3). Ce
témoignage à lui seul tiré d'un manuscrit d'une date certaine
suffirait pour prouver ce que nous avançons.
Le Chroniqueur de Tours n'est pas moins précis : « Ivo
« vità et scientià clams inter alia opéra sua vohonen illud
« qiiod Decretiim dicunt, sagaciter compilavit {à) » .
Pagi, le commentateur et l'annotatem' de Baronius cite le
témoignage non moins positif de Trithème qui, on le sait, est
un auteur sérieux, et n'écrit jamais que sur des documents
antérieurs : « Scripsit Ivo, dit-il, ex canonibus sanctorum
« patrum coinpendiosum Decretum quo^ ante Gratiani tem-
« pora^ iitebantur juristse quod prœnotavit Panormiam.
« Claruit sub Henric IV an 1090 (5) ».
Enfin, nous avons un témoignage plus précieux encore que
tous ceux que nous venons de citer : c'est celui d'Yves de
Chartres lui-même, dans la lettre qu'il adi'esse à Ponce, abbé
de Cluny : « Je vous envoie, dit-il, mes collections de canons
(( et mes autres opuscules que vous m'avez demandés (6) » .
Devant une affirmation aussi claire et aussi formelle il n'y
(1) De scriptoribus ecclesiast., cap. 167. Éd. F. A. Fabricius in
Biblioth. ecclesiast. Hamburgi, 1718, fol.
(2) Histoire littéraire, t. X, p. 135.
(3) Y. plus haut, p. 20.
(4) Voir Recueil des historiens des Gaules, t. XII, p. 468.
(5) Annal. Barom. ad an. 1117. N° xv.
(6) « CoUectiones canonum quas a me postulastis et opuscula meti quœ
« his addi voluistis transmisi vobis. » (Yv. Epist. 262.)
— 32 —
a plus rien à ajouter. Il est clone inutile de citer à Tappui de
notre thèse les nombreux manuscrits de la Panormie qui se
trouvaient dans presque toutes les bibliothèques des couvents
avant la Révolution et dont un grand nombre existent encore
aujourd'hui à la Bibliothèque nationale {\) et dans beaucoup
d'autres bibliothèques de France (2).
Voilà donc un point hors de doute et complètement acquis
à notre thèse : c'est qu'Yves de Chartres était, de son temps,
déjà, un canoniste de haute réputation et qu'il a composé
des ouvrages ou du moins un ouvrage sur le droit canon.
Mais quel est cet ouvrage? Est-ce la Panormie divisée en
huit livres et dont nous avons aujourd'hui en mains tant de
manuscrits et trois éditions?
Est-ce le Décret dont nous possédons quatre ou cinq ma-
nuscrits et également trois éditions?
Est-ce enfin la Collectio Tripartita si bien étudiée par
Theiner et antérieure, suivant lui, à notre évêque de Chartres?
Autant de questions que nous allons étudier à fond, et
discuter séparément, d'après le manuscrit de D. Gellé Béné-
dictin de Saint- Germain des Prés et d'après les travaux des
frères Ballerini, de Theiner et des autres auteurs allemands
les plus récents.
(1) Voir ancien catalogue de la Biblioth. royale, in-fol. — Nouv.
catal. de l'anc. fonds latiu, par M. L. Delisle, in-S».
(2) Vincent de Beauvais, dans son grand ouvrage Spéculum histo-
riale, nous apprend que de son temps, c'est-à-dire vers la fin du
douzième siècle, les mss. d'Yves de Chartres étaient très répandus.
« Hic Liber Decretorum Ivonis apud nos in plurimis locis reperitur, »
Speciil. Imtor., lib,, XXVI, c. lxxxiv.
CHAPITRE II
LA PANORMIE
Parmi les questions soulevées au sujet des Recueils de droit
canon attribués à Yves de Chartres celle dont la solution est
la plus certaine et la mieux assise, est celle qui attribue à
notre évêque la paternité de la Panormie. Aussi est-ce par
elle que nous abordons la discussion qui fait l'objet de notre
travail.
Yves de Chartres est-il l'auteur de la Panormie ?
Nous pouvons répondre affirmativement à cette question et
justifier notre conviction sur ce premier point.
Examinons tout d'abord les assertions de quelques auteurs
qui se sont laissés prendre à certains titres de recueils et se
sont rangés à l'opinion contraire.
Ainsi, le P. Labbe, l'auteur du Recueil des Conciles, refuse
à r évêque de Chartres la paternité de la Panormie parce
qu'il a vu dans certains manuscrits des documents émanant
de Calliste II et d'Innocent II son successeur, qui n'occupèrent
le siège pontifical cjiie plusieurs années après la mort d'Yves :
il en tire cette conclusion que la Panormie lui est posté-
rieure (1).
D'abord, on peut répondre qu'il y a de nombreux et de
(1) V. Doujat, Prœnotmies criticœ. Paris, 1687, lib. III, cap. 28. N» 4.
— 34 —
très nombreux manuscrits où ces documents ne se trouvent
pas; quant à ceux où on les rencontre, ils ont été ajoutés ad
calcem operis par les copistes qui ont vécu immédiatement
après Yves (1). Ils croyaient très bien faire en ajoutant au
travail primitif des documents nouveaux qui, à leur sens,
complétaient et confirmaient ceux apportés par le savant
évêque de Chartres.
On trouve beaucoup d'exemples de cette façon d'agir sur-
tout au douzième et treizième siècle. Quand les copistes pos-
sédaient une lettre, un sermon, un ouvrage quelconque qui
traitait du même sujet, ils l'inséraient à la suite du travail de
leur auteur : croyant en cela rendi^e service à l'Église et à la
Société. Les livres ou plutôt les copies étaient si rares qu'on
était heureux de pouvoir transmettre à ses contemporains et
aux âges futurs les œuvres que l'on connaissait et qui pou-
vaient leur être utiles. C'est ce qui explique les nombreuses
interpolations qui se rencontrent dans les monuments de ce
temps et qui ont donné lieu souvent à de graves discus-
sions (2). Il n'y a donc pas de conclusion à tirer de ces détails
ajoutés après coup; et si le P. Labbe avait confronté un plus
grand noml^re de manuscrits, il est probable qu'il n'eût pas
été aussi affirmatif.
D'ailleurs, nous avons, sur ce point, le témoignage d'un
des confrères de D. Gellé, auquel il avait envoyé des manus-
crits de la Paiiormie. Voici ce qu'il lui répond dans une lettre
du mois de septembre 1707 (3). « Je n'ay rien trouvé dans
(1) Mabillou affirme avoir vu deux manuscrits aux abbayes d'Au-
chin et de Blandeuberg, qui tous deux portaient le nom d'Yves et
ne contenaient rien des additions dont parle le P. Labbe. V. Doujat,
ibid. — Baluze parle également de deux manuscrits, celui do saint
Victor et celui d'Antonius Augustiuus, qui ne renfermaient rien
de ces additions Voir Baluze, De Emendatione Gratiani, préf. N» 23.
(2) Biblioth. nation, mss. N" 12317 fol. 42 « On voit dans ces
« manuscrits, dit D. Gellé, qu'après la formule ordinaire. Explicit
« Panormiœ liber octaviis j.uue main plus récente a ajouté ces détails
selon sa convenance.
(3) I/jid'., mss. 12317, fol. 6.
— 35 —
M VOS manuscrits de la Panormie d'Yves qui pust prouver que
« cet ouvrage soit postérieur à Yves. 11 est en tout conforme
(( à ce que dit M. Baluze de celuy de saint Victor. Il ne parle
'< pas d'Innocent II. Le manuscrit est du douzième siècle, d'où
« j'infère que l'ouvrage a été fait après Nicolas 'i** et avant
« Nicolas 3'' ; autrement, il n'aurait pas appelé Nicolas 2'^ ju-
« nior. »
Ce petit détail indique parfaitement l'époque où fut com-
posée la Panormie, c'est-à-dire dans la seconde moitié du
onzième siècle (1). Y^ves aura publié les derniers documents
qui étaient parvenus à sa connaissance, et comme nous pen-
sons qu'il a composé sa Panormie à l'abbaye de Saint-Quen-
tin, c'est-à-dire de 1075 à 1090, époque de son élévation à
l'Épiscopat, on voit que la date du règne de Nicolas II con-
corde parfaitement avec celle que nous assignons à la compo-
sition de son ouvrage.
Les Bollandistes qui n'ont fait que copier la notice d'Yves
de Souchet arrangée et éditée par le P. Fronteau en I6/i7 (2)
attribuent, à la suite de cet auteur la Panormie d'Yves à
Hugues de Chàlons, lequel, d'après ce sentiment, n'aurait
fait qu'abréger le Décret d'Yves (3).
Les auteurs de l Histoire littéraire de la France répondent
à cette assertion que cet Hugues de Chàlons n'a pas existé (4).
Mais en cela, ils se trompent aussi bien que les Bollandistes et
le P. Fronteau. Hugues de Chàlons a existé, et il n'est pas
l'auteur de la Panormie dont nous discutons en ce moment
la paternité.
En effet, Vincent de Beauvais parle d'un Hugues évêque de
Chàlons qui est auteur d'un ouvrage intitulé : Summa Decre-
toriim Ivonis. Et il nous explique même pourquoi et comment
(1) En efl'et, Nicolas II fut élu papo au concile de Sieuu' (1058),
à l'instigation d'Hildebraud. Il mourut en 1061.
(•2) Édit. des Œuvres d'Yves de Chartres. Paris, 1647, in-fol. Pré-
face.
(3) Acta sanctorum, t. XVIII, p. 80.
(4) Histoire littéraire, t. X, p. 120-121.
2
— 36 —
il le composa : « Hic liber Decretonim Ivonis apud nos in
« phirimis locis repentiu\ qui quoniam ipse quoque non
« parvae quantitatis non est facile portatilis (1) et il ajoute :
« Eî(go C atalaunensis ex eodem volumine ahbreviato libcl-
« lion portatilem legitur composuisse qui et ipse apud nos
« est et summa Decretorum Ivonis appellatur (2). »
Voilà un témoignage formel d'un homme presque contem-
porain de l'évêque de Chartres; et ce témoignage est confirmé
par une lettre d'Yves lui-même qu'il écrit au pape Pascal II
au sujet de son ami l'Évêque de Châlons qui avait des diffi-
cultés avec un nommé Drogon, trésorier de son chapitre (3).
Or la date de cette lettre est entre llO/i et 1113 : C'est donc
vers cette époque que Hugues occupa le siège épiscopal de
Châlons.
D'ailleurs, pourquoi révoquer en doute, comme le font les
auteurs de l'Histoire littéraire^ le témoignage de Vincent de
Beauvais et affirmer qu'il s'est ti'ompé de nom : qu'il a mis
Hugues au lieu de Haimon? Nous allons précisément montrer
que cet Haimon n'est point auteur de l'Abrégé dont parle
Vincent de Beauvais, mais d'un autre ouvrage composé non
d'après la Panormie attribuée à Yves , mais d'après un
abrégé en dix livres de cette même Panormie. Les manus-
crits découverts par le savant Theiner vont jeter le jour le
plus complet sur cette question [h) .
Il existe à la Bibliothèque de Berlin (mss. lat., in-/i°,n"106)
un manuscrit qui est un abrégé très exact de la Panormie
d'Yves, et qui porte le nom de Summa Decretorum Ivonis (5).
Le manuscrit est du douzième siècle et ne contient que qua-
torze feuillets : ce qui justifie le témoignage de Vincent
. (1) Vincent. Bcllovac. Spéculum historiale, lib. XXVI, c. lxxxiv.
(2) Ihid.
(3) Ivonis Epist. 95. Theiner se trompe quand il dit que cette lettre
est adressée à Urbain II, puisque l'autour y parle du Concile de
Poitiers qui eut lieu en 1100 et que le pape Urbain est mort en 1099.
(4) Theiner, Ueber Yvo's Dekret, p. 50-55.
(5) C'est exactement le titre indiqué par Vincent de Beauvais.
- 37 -
de Beauvais qui parle d'un ouvrage tout-k-hït portatilis .
Les auteurs de VHistoire littéraire pourraient répondre
que le nom de l'auteur n'étant pas indiqué dans le manuscrit,
ce pourrait être Haimon. Mais nous pouvons leur opposer
un témoignage formel, où le nom, cette fois, apparaît en
toutes lettres.
Un manuscrit de l'ancienne Bibliothèque royale (n° Zi,377)
nous donne un abrégé d'une Panormie en dix livres. En
tête, se trouve une partie du prologue d'Yves de Chartres,
comme dans beaucoup de Recueils de cette époque, puis
l'auteur dit que « si cette exposition ne suffit pas au lecteur,
« \\MtYQ(iovi\"&k l'opuscule plus détaillé du vénérable Yves
« de Chartres que lui n'a fait qu'abréger (1). » Ensuite il
ajoute un court prologue en tête duquel il met son nom (2).
Cette fois, il n'y a plus aucun doute sur cet Haimon que
réclament les auteurs de l'Histoire littéraire. C'est bien celui
dont parle Albéric des Trois-Fontaines auquel il donne la
qualité d'archidiacre et qu'il appelle homme noble et reli-
gieux (3). Haimon lui-même nous apprend dans sa préface
qu'il a rédigé cet Enchiridion non par un sentiment d'arro-
gance et pour le livrer au public, mais pour son usage
personnel, en raison de la charge qu'il occupe {K).
Nous trouvons dans cette même préface une assertion qui,
au premier abord nous paraît étrange, mais qui vient con-
firmer pleinement la thèse que nous soutenons : à savoir que
Haimon, évêque de Chàlons, n'est pas l'auteur de la Panor-
mie attribuée généralement à l'évêque de Chartres. « Le véné-
rable Yves, dit-il, a réuni les divers canons et règles ecclé-
siastiques et les a réduits à dix LivTCs ad minimum decem
librorum laudabili redegit compendio. »
(1) Mss. 4377. Préface.
(2) Ibid. « Haimo, Dei gratia, id quod est... »
(3) « Electus in episcopiim Catalaimensem Haimo archidiaconus vir
(t nohilis et religiosus de Bazocliiis qui fecit Enchiridion in decretis,
« secundum Panormiam Ivonis. » Alberic Tr. Font, ad an. 1153.
(4) Mss. 4377. Préface.
— 38 —
On se demande comment un écrivain qui avait le manus-
crit entre les mains a pu se laisser ainsi induire en erreur et
attribuer ce compendium en dix Livres à Yves de Chaitres.
Haimon , sans doute , aura été trompé comme beaucoup
d'autres par le Prologue d'Yves qui se trouvait en tête du
manuscrit (1); s'il l'eut examiné de plus près, il am"ait vu
que cette Panormie en dix Livres n'était elle-même qu'un
abrégé de la Panormie en huit Livres. Trouvant en tête du
manuscrit le prologue bien connu d'Yves de Chartres, il
aura pensé que le sommaire des dix parties indiquées par
l'auteur (2), était l'œuvre de notre prélat lui-même; voilà
pourquoi il lui a attribué ce compendium. Haimon croit abré-
ger le recueil d'Yves : il n'en est donc pas l'auteur.
Ainsi se trouve expliquée et réfutée la double attribution
de la Panormie d'Yves de Chartres à Hugues de Chàlons et
à Haimon de Bazoches : le premier n'a fait qu'abréger le
recueil d'Yves, et le second l'ouvrage que Theiner attribue
à Hildebert du Mans. Nous arrivons ainsi à cette conclusion :
que la Panormie telle que nous la possédons dans de nom-
])reux manuscrits, n'appartient ni à un auteur postérieur à
Yves, ni à Hugues de Chàlons ni à Haimon, l'un de ses suc-
cesseurs.
Voilà donc le terrain déjà quelque peu déblayé; mais ce
ne sont là pour notre thèse que des preuves négatives : il
faut aller plus loin et asseoir maintenant notre opinion sur
des documents certains et positifs.
Disons d'abord que le mot de Panormie [Panormia ou
Pannormia) ne se trouve ni dans le Prologue, ni dans le
corps de l'ouvrage, ni à la fin, dans aucun manuscrit : on
ne le voit ligurer que dans le titre rédigé sans doute par les
copistes. C'est ainsi que dans beaucoup de manuscrits qui
sont certainement du douzième siècle, on trouve en tête :
Panormia ou Pannormia; dans d'autres, il est vrai, on
(1) Codex Vniduboiu'ii^. Jus cnnonic. N" 01, iii-i".
r2) IbifL, préfaco « Vohmlati veslro:. »
— 39 —
rencontre des titres comme ceux-là : Decrrtum loonis ou
Summa Decretorum Ivonis ou Exceptiones canonmn, ou
comme dans celui de Berlin (1) Lihor canomim ïvoim ou
bien encore Liber Decrotoritm sive Panorima Ivonh (2).
Il y a donc lieu de supposer que l'auteur n'a point mis
de titre à son ouvrage et que celui de Panormie aura été
ajouté par quelque contemporain, puisqu'on le rencontre dès
le douzième siècle.
Avant d'aller plus loin, établissons un point incontestable
et qui est d'une grande portée, quand il s'agit d'un manus-
crit : c'est que dans tous ceux que possèdent la France et
les pays étrangers, qu'ils soient du douzième siècle ou pos-
térieurs à cette date, on trouve et le Prologue d'Yves,
{Exceptiones regularwn ) et le nom de l'évèque de
Chartres. C'est Theiner qui nous l'affirme de la façon la plus
expresse et la plus positive (3) .
Il y a dans ce fait universel, plus qu'une présomption en
faveur de notre évêque de Chartres, il y a une certitude
qu'il est réellement l'auteur de la Panormie.
Néanmoins, qu'il nous soit permis de rappeler ici deux
ou trois témoignages que nous avons déjà cités un peu à
la hâte au chapitre premier et d'en apprécier la valeur.
Nous n'insistons pas sur celui de Sigebert qui nous dit
simplement qu'Yves de Chartres ce composa un remarquable
recueil de canons, insigne volumen canorum, » seulement
nous ferons remarquer que le moine de Gemblours meurt
quatre ou cinq ans avant l'évèque de Chartres, c'est-à-dire
vers 1110, et qu'à cette époque le recueil de notre Prélat
(1) Biblioth. Berlin, mss. lat. N° 197. (Voir Theiner, ouvrage cité
p. r.}, noie 25.)
(2) Voir les deux éditions de la Ponormie-.coWe de 1449 (de Brandt)
et celle de 1557 (Vosmedianus).
(3) « In den vcrscldedenen Bihliotheken namentlich Frankreichs habe
« ich Gelegenheit gehabt eine U rimasse Handschriften von der Panormie
" einzusehen, und dnbei immer gefunden, dass sie sammtlich altère loie
a neuere, solche unter Ivo's namen liefern, und zivar mit dem bekannten
« Prolog, n Theiner, op. cit., p. 26-27.
— 40 —
était déjà bien connu puisque Sigebert l'appelle « insigne
volumen. »
Le témoignage d'Albéric des Trois-Fontaines, qui vivait
vers le milieu du douzième siècle, est plus foiinel et plus
positif. En parlant de l'Enchiridion d'Haimon de Bazoches,
il dit (( qu'il l'a composé d'après la Panormie d'Yves (1) . »
Lorsque Vincent de Béarnais, dans son Speciihnn histo-
riale cite le Liber BecrpAormn Ivonis, il entend certainement
parler de la Panormie et non du Décret; autrement, il ne
dirait pas que « les manuscrits de cet ouvrage se trouvent
« vulgairement, qiiod apud nos in plurimis lacis reperitur »
puisqu'on sait qu'il n'existe que quelques rares manuscrits
du Béer et, tandis qu'il y en a un très grand nombre de la
Panormie (2).
L'erreur même d'Haimon de Bazoches qui attribue à Yves
la Panormie en dix Livres prouve que la Panormie était
si bien connue comme étant l'œuvre de l'évêque de Chartres,
qu'il n'a même pas pris la peine d'examiner la deuxième
préface de l'auteur. C'était donc un fait acquis et connu de
tous en ce temps-là (1153), c'est-à-dire moins de cpiarante
ans après la mort d'Yves, qu'il était l'auteur de la Panormie.
Mais paimi tous ces témoignages, celui qui nous frappe
davantage est celui de l'auteur même de la Panormie en dix
Livres dont le manuscrit se trouve à la Bibliothèque de
Vienne. L'auteur dit formellement dans sa Préface « qu'il
«. va abréger l'œuvre d'Yves de Chartres, qu'il va apporter
« cependant quelques changements dans la division des
« Livres et des chapitres, qu'il va diviser son ouvrage en
(1) « Composuùse leçjitur secundmn Panormiam Ivonis. » Alberic
3 Font. an. 1153.
(î> Theincr qui a parcouru un grand nombre de bibliothèques,
nous affirme que presque toutes possèdent un ou deux exemplaires
de la Panormie, tandis qu'il n'y a que quatre mss. du Décret. Voir
Ueber Yvo\s, p. 50, note 25. — A la seule Biblioth. nationale, il y a
plus de douze mss. de la Panormie qui datent presque tous du
xu" siècle.
— 41 —
« dix Livres au lieu de huit, afin qu'il ait plus d'analogie
« avec les dix commandements de Dieu (1). »
En effet, pour arriver à ses dix parties, il a scindé la troi-
sième partie de la Panormic^ puis il a ajouté une dixième
partie {de Pœnitentiâ) qui ne se trouve pas dans la Panormie
d'Yves. Sauf ces changements, il a exactement suivi l'auteur
qu'il abrégeait, comme il est facile de le voir dans le manus-
crit. D'ailleurs, il nous dit lui-même dans sa Préface : « Eu jus
opuscidi contextionem ità studiii disponere ut et (Ivoni)
pe)- o?miia videatur congénère (2). »
Ainsi, voilà un auteur qui n'a point écrit au-delà de 1130,
c'est-à-dire moins de quinze ans après la mort d'Yves et qui
non seulement nous parle de la Panormie comme apparte-
nant à notre prélat, mais a le recueil entre les mains, en fait
l'analyse qui se trouve être parfaitement conforme à tous les
manuscrits que nous possédons. Devant une pareille preuve
il n'y a pas à hésiter : Yves de Chartres est certainement
l'auteur de la Panormie.
Citons néanmoins encore un dernier témoignage qui ne
fera que confirmer et corroborer notre sentiment sur l'auteur
de la Panormie. C'est un manuscrit dont parlent les frères
Ballerini et qu'ils appellent Codex Patavinus (3). Ce manus-
crit qui a appartenu aux moines de Sainte-Justine et qui
est signé yy porte en titre : Ivoîiis Episc. Carnot. excep-
tiones ecclesiaslicorum canonum. Il contient le Prologue,
plus la division en huit parties comme dans les autres manus-
crits. Il paraît remonter au quatorzième siècle, mais il a
été copié sur un vieux manuscrit qui a été composé aus-
sitôt la mort d'Yves de Chartres. En effet, le catalogue des
papes qui s'y trouve s'arrête à Gélase il qui mourut en 1119
et qui n'était monté sur le trône pontifical qu'en 1118. Tandis
que jusques là, l'auteur rapporte les actes des autres Pontifes
(1) Codex Vindobonens. {Jus canonic. No91).
(2) Theiner, op. cit., p. 32, note 8.
(3) Ballerini, op. cit., pars IV, c. xvi.
— 42 —
romains, il ne dit absolument rien du pape Gelase. Or, Yves
venait de mourir en 1115, le témoignage rendu par l'auteur
de ce manuscrit prouve donc que deux ou trois ans tout au
plus, après la mort de notre prélat, ses contemporains le
regardaient comme l'auteur du Recueil intitulé plus tard
Panonnie. Aussi les frères Ballerini ajoutent-ils : « Ce témoi-
« gnage a pour nous tant de valeur que si nous avions à
« douter de l'authenticité du Décret ou de la Panormie, ce
(( serait plutôt le premier que le deuxième que nous enlève-
« rions à Yves de Chartres (1). »
Maintenant que nous croyons avoir établi solidement la
paternité d'Yves, à l'endroit de la Panormie^ il ne nous reste
plus que deux questions à examiner et à résoudre :
La première : La Panormie est-elle antérieure ou posté-
rieure au Décret^ c'est-à-dire n'est-elle qu'un abrégé du
Décret^ ou le Décret lui-même n'est-il qu'une amplification
de la Panormie ? Les deux hypothèses ont eu leurs partisans.
La deuxième : Quel rapport existe- t-il entre la Panormie
et la collection Tripartita, en d'autres termes, la Panormie
a-t-elle été faite, copiée sur la Trijmrtital (2)
Et d'abord, la Panormie d'Yves de Chartres est-elle anté-
rieure au Décret qui porte son nom?
Avant d'aller plus loin, il nous paraît utile de faire remar-
quer qu'il ne s'agit, dans cette discussion, que d'ouvrages de
compilation, c'est-à-dire de recueils où les textes distribués
et réunis sous certaines rul^riques, ne subissent que peu ou
point de changements et peuvent, par conséquent, se trouver
à peu près les mômes, dans l'un comme dans l'autre traité. Si
l'on avait à juger une œuvre philosophique ou littéraire, on
pourrait examiner si telle idée, qui n'est qu'un geime dans
l'un des deux ouvrages, est développée dans l'autre ; si l'auteur
(1) Ballerini, op. cit.; pars IV, chap. xvi.
(2) La réponse à cette deuxième question nous paraissant compor-
ter d'assez longs développements, nous avons cru devoir en faire
l'objet d'un chapitre spécial. (V. chap. iii).
— A3 —
a complété ses premières recherches ; mais ce travail ici n'est
guère possible. Les titres ou rubriques des parties, et même
des chapitres sont presque les mêmes dans les deux recueils ;
nous ne pouvons, à première vue, constater qu'une chose :
c'est qu'il y a moins de textes cités dans la Panonnie que
dans le Décret; c'est que les livres sont deux fois plus nom-
breux et les chapitres aussi par là même, dans le Décret que
dans la Panormie.
Rien que d'après ce simple énoncé, on est porté, a priori^
à conclure que le volume où les matières sont plus dévelop-
pées, que l'ouvrage, en un mot, qui est le plus complet, est
postérieur à l'autre. En général, c'est ainsi* que procède
l'auteur des deux ouvrages qui traitent du même sujet, à
moins qu'il ne dise formellement qu'il a voulu faire un
abrégé, un Enchiridion de son premier ouwage.
Or, nous ne trouvons aucune ti*ace d'un pareil dessein dans
le long prologue d'Yves qui se trouve en tête de tous les
manuscrits de la Panormie. Dans les sept ou huit folios
(12 colonnes in-4°. Edition Migne), notre auteur ne dit pas
un mot de ce projet : il n'y est nullement question d' enchiri-
dion, ni d'abrégé d'un grand ouvrage; encore une fois, si cela
eût été, Yves, l'homme pratique par excellence, n'eût pas
manqué de nous dire qu'il abrégeait son grand ouvrage pour
en faire un manuel, pour être plus commode à ses lecteurs, etc.
Mais, dira-t-on, est-il bien sûr que le prologue appartienne
réellement à la Panormie et non au Décret? — Oui, par
une raison bien simple : c'est que la division en huit parties,
faite par l'auteur lui-même, se trouve dans tous les manus-
crits de la Panormie qui, nous le répétons, sont très nom-
breux, tandis que sur les cinq ou six manuscrits qui existent
ou plutôt qui existaient du Décret, c'est à peine s'il en est deux
ou trois qui portent en tête le Prologue. Si le Prologue appar-
tenait au Décret, il faudrait supposer que cette division de la
Panormie en huit parties a été faite après coup par une autre
main, et accoUée au Prologue. Comment se fait-il alors qu'il
n'y ait pas un seul manuscrit de la Panormie où manque le
— u —
Prologue, et qu'il manque dans presque tous les manuscrits
du Décret^ C'est que tout simplement on a mis le Prologue de
la Panormie en tête du Décret ; cqhî que, comme nous le
dirons plus bas, on voulait attribuer la paternité de ce dernier
ouvrage à l'Évêque de Chartres, et l'abriter sous son puissant
patronage.
Si le Prologue eût été composé d'abord pour le Décret et
que plus tard Yves ait publié sa Pawwmie, arrivé à la fin de
sa préface où il indique les divisions du Décret, qui sont au
nombre de dix-sept, il se- serait empressé de dire que son
nouvel ouvrage ne contiendrait que huit parties au lieu de
dix-sept, cela est évident. Et puis, est-il naturel qu'un auteur
composant un nouveau volume, sur un même sujet, y insère
la préface de son premier ouvrage, sans y rien changer, sans
dire un seul mot du nouveau, surtout quand le plan et les
divisions ne sont plus les mêmes? Non, évidemment non.
D. Gellé, dans la préface de son manuscrit (1) affirme que
la Panormie a été extraite du Décret, mais il n'apporte
aucune espèce de preuves : il annonce simplement qu'il a
comparé attentivement les deux ouvrages, et qu'il a marqué
livre par livre, chapitres par chapitres, les citations et textes
qui correspondent dans le Décret et la Panormie (2).
Ce travail du bénédictin a certainement un grand mérite,
et est d'une réelle importance pour l'étude des deux ouvrages
qui font l'objet de notre thèse; mais que prouve cette compa-
raison? Elle est, il nous semble, aussi bien en faveur de notre
sentiment qu'en faveur de l'opinion de D. Gellé. Cette com-
paraison et ce tableau, œuvres de patience, ne prouvent qu'une
chose : c'est que l'auteur du Décret, quel qu'il soit, Yves ou
un autre a pu emprunter à la Panormie les textes et les cita-
tions qu'il a insérés dans son Décret. Cette explication nous
semble tout aussi plausible que celle du savant bénédictin. Et
d'ailleurs, le même D. Gellé nous fournit contre sa thèse et en
(1) Biblioth. nat., nouv. fonds lat. N° 12317, fol. 42.
(2) Ihià., fol. 182 à 187.
faveur de la nôtre, un argument ries plus sérieux. « J'indi-
« querai, dit-il dans sa préface (1), les canons qui se trouvent
« à la fois dans le Décret et dans la Panorraie; et, dans un
« appendice, je placerai les autres canons qui ne sont pas
« dans le Décret (2) . »
Ainsi, il y a donc dans la Panormie des textes des canons
qu'on ne trouve pas dans le Décret, c'est l'adversaire de notre
thèse qui l'affirme lui-même ; nous retournons l'arme contre
lui : Si la Panormie n'était qu'un extrait du Décret, elle ne
contiendrait point ces canons qui ne figurent pas dans le
Décret; quand un auteur fait l'abrégé d'un livre, ordinaire-
ment il n'y insère pas des documeuts nouveaux, ou, s'il le fait,
il les met à la fin de l'ouvrage, ou bien il explique pourquoi
il les insère. Il est plus probable qu'Yves, ou l'auteur du
Décret, aurait supprimé, éliminé de son nouvel ouvrage, cer-
tains canons qui lui auraient paru ou inutiles ou d'une authen-
ticité douteuse plutôt qu'il n'y en aurait introduit de nouveaux.
L'argument de D. Gellé tourne donc évidemment contre lui.
Si maintenant nous pénétrons dans le détail de deux ou-
vrages et si nous examinons l'ordre et la disposition qui ont
présidé à leur composition, nous constatons que les huit par-
ties de la Panormie ont été dédoublées dans le Décret. Cela
saute aux yeux dans le tableau dressé par D. Gellé (3).
Ainsi, le premier livre de la Panormie traite de fide, de
divei'sis hseresibus, de baptismate, de confirmatione , de
Sacramento corporis et sanguinis Christi, de missâ, etc.
La première partie ou le premier livre du Décret traite de
la foi et du baptême ; la deuxième partie ou deuxième livre
de sacramento corporis et sanguinis Christi et de Missâ.
Le deuxième livre de la Panormie a pour titre : De consti-
tutione ecclesiarum et oblatione fîdelium. L'auteur du Décret
va le dédoubler comme il a fait pour le premier livre, et il
(1) Voir mss. 12317, fol. 42. V".
(2) Ibid. « Alios Panormiœ canones qui in Decreto non sunt. »
{Z)lbid.,îo\. 182 à 187.
— 46 —
aura deux parties sur ce sujet, c'est-à-dire troisième et qua-
trième partie du Décret.
Le troisième livre de la Panormie traite de Summi Ponti-
ficis electione et de Episcopis., monachu et clericis; l'au-
teur du Décret en fait deux nouvelles parties, c'est-à-dire la
cinquième de primatu Romanse ecclesiœ., et la sixième de
Clericis. Et il continue ainsi jusqu'à la fin le dédoublement
des livres de la Panormie.
Cependant, quoique les titres des livres ou des parties
soient à peu près les mêmes, l'ordre et la disposition diffèrent :
les canons ne sont pas rangés de la même façon. Or, si la
Panormie n'était qu'un abrégé du Décret., l'auteur, il nous
semble, aurait suivi l'ordre et la disposition de l'ouvrage qu'il
abrégeait. Nous inclinons plutôt à croire que l'auteur du Décret
a conservé les grands linéaments de la Panormie., l'ordre gé-
néral de l'ouvrage; mais comme il avait sous la main des
matériaux plus nombreux : décrets de conciles récents, lettres
de papes, etc., tout en conservant les titres de la Panormie^
il a rangé les Canons et Décrets dans un ordre nouveau et
meilleur, comme fait l'auteur qui révise un ouvrage et lui
donne des proportions plus considérables (1).
Il arrive souvent à l'auteur du Décret, de reproduire d'abord
et selon leur ordre, les quatre ou cinq documents que cite la
Panormie sur un sujet, puis d'y ajouter trois ou quatre autres
canons ou lettres de papes sur le même sujet : c'est ce qu'il
fait en particulier pour la confession et la rétractation de
Bérenger : il cite d'abord le texte de la Panormie tout entier,
mais il y ajoute ensuite d'autres développements tirés de
saint Augustin (2).
Encore une fois, si l'auteur de la Panormie faisait un
abrégé, un extrait, il ne s'y prendrait pas de cette façon, on y
reconnaîtrait une main plus habile et plus heureuse dans le
choix des citations : il ne se contenterait pas de reproduire les
(1) V. Panormie, lib. I, c. cliv et clv, etDécret, p. lia c. lvu et lviii.
(2) Ibid., c. cxxvi et Décret, pars II a, c. x.
— n —
premiers documents qu'il rencontrerait dans le Décret sur le
sujet à traiter, il n'écourterait pas, il choisirait.
Enfin, si la Panonnic était ra])régé du Décrpt comment
se fait-il que dans aucun manuscrit on ne tiouve nulle trace
de la dix-septième partie? Il est vrai que cette partie manque
dans plusieurs manuscrits, néanmoins elle existe; et si l'au-
teur ne reproduit aucun texte de cette dix-septième partie,
c'est qu'elle n'existait pas encore au moment de la rédaction
de la Pa?wrmie, c'est que ce dernier recueil est antérieur au
Décret.
Une dernière considération tirée de la vie même d'\ ves de
Chartres. Nous avons surabondamment prouvé que notre
prélat est auteur d'un ouvrage sur le droit canon, et nous
avons déjà fait pressentir qu'il avait dû composer cet ouvrage
pendant qu'il était abbé de Saint-Quentin. En effet, comme
nous le dirons dans un des chapitres suivants, pour nous
qui avons étudié, année par année, la vie de l'Evêque de
Chartres, il ressort clairement que notre saint prélat n'a
pas eu, pendant sa carrière épiscopale, le temps ni les loisirs
de composer un Livre qui, selon l'expression de son ami
Hildebert, exige <i pectus liberum curis (1). » En lutte
avec le roi Philippe pendant plus de dix ans, ou en négo-
ciations plus ou moins difficiles avec les légats du Saint-
Siège, écrasé qu'il était par sa nombreuse correspondance, il
nous paraît sinon impossible, du moins très difficile qu'il ait
pu composer un ouvrage aussi considérable que la Panormie
ou le Décret, et surtout tous les deux. D'ailleurs, s'il eût été
absorbé par la composition d'un travail aussi important, il
nous l'aurait dit assurément dans quelqu'une de ses nom-
breuses Lettres : Il entre dans bien d'autres détails sur ses
occupations, sur sa santé, sur ses infirmités et ses mala-
dies, etc. Or, dans ses trois cent quarante Lettres que nous
avons étudiées jusques dans les moindres détails, il n'est
question qu'une seule fois d'une collection de canons dont il
(1) Epist., Hildebert, lib. II, Épist. 27.
est l'auteur, c'est dans la lettre deux cent soixante-quinzième
adi'essée à Ponce, abbé de Cluny, où il lui dit « qu'il lui envoie
« sa collection de canons et ses opuscules (1) » . Mais Yves ne
parle pas de ce recueil comme d'un ouvrage qu'il vient de ter-
miner (et dans cette hypothèse il l'eût dit certainement) mais
comme d'un livre que l'Abbé de Cluny lui a demandé depuis
longtemps.
L'auteur de la Panormie en dix livres, dont nous avons
parlé au commencement de ce chapitre, semble confinner
notre manière de voir, lorsqu'il parle du traité de l'Evêque de
Chartres « cpi'il a dicté, dit-il, dans un langage choisi, trac-
« tatum qiiem de consonantia canonum luculento admodùm
« sermons dictavit. » Pourquoi cette expression dictavit^ si
l'auteur ne fait pas allusion à l'enseignement qu'Yves don-
nait à ses élèves, à l'abbaye de Saint-Quentin?
Enlin, lorsque Sigebert parle de Y insigne volumcn canonum
de l'Evêque de Chartres, il ne peut être question que de la
Panormie ou du Décret. Il est impossible que le moine
de Gemblours fasse allusion à ce dernier ouvrage puisqu'on
y trouve des canons d' un Concile qui s'est tenu plus de quatre
ans après la mort du chroniquem- 2). Donc, Sigebert ne veut
et ne peut parler que de la Panormie; donc, dès 1110 ce
recueil était déjà célèbre ; donc, il est antérieur à la rédaction
du Décret qui, on le voit, n'a pu paraître que plus tard. (3).
W) Yvonis, Eput. 275, édit. 1647, fol. Paris.
(2) Il est eu effet question dans le Décret, pars III a c. ccxxvii et
suiv., de plusieurs canons d'un concile de Beauvais, qui se tint à la
fin de l'an 1 ll'i. Voir P. Labbe, Recueil des conciles, t. X, p. 797.
(3) Voir chap. iv [ad fin).
CHAPITRE III
LA COLLECTION TRIPARTITA
Avant de déterminer les rapports qui existent entre la
collection Tripartita et les deux ouvrages attribués à l'Evèque
de Chartres, il est nécessaire d'entrer dans quelques détails
sur ce recueil qui est aujourd'hui encore l'objet de discussions
parmi les savants.
Disons d'abord que ce titre de Tripartita est tout-à-fait
récent : Ce nom ne se trouve dans aucun manuscrit, il lui a
été attribué par Theiner, afin de la distinguer de certaines
autres collections du même temps et de faciliter la discus-
sion.
Quant à la division en trois parties, elle existe réellement
dans l'ouvrage, mais l'auteur n'en dit rien nulle part et l'on
ne rencontre dans les manuscrits aucun indice de cette divi-
sion : on constate tout simplement par la lecture que l'auteur
a puisé ses documents à trois sources différentes : Les Lettres
ou Décrétales des Papes, les décisions ou canons des Conciles,
enfin les extraits des Saints Pères.
Nous possédons plusieurs manuscrits de cette collection qui
n'a jamais été imprimée. La Bibliothèque nationale en compte
quatre, que nous avons parcourus (1). Mais nous avons étudié
(1) Biblioth nat., anc. fonds lat. N» 3858, 3858 a, 3858 6, 4282.
— 50 —
plus spécialement celai qui porte le n° 3,858, comme étant le
plus complet et le mieux conservé. Qu'on nous permette d'en
donner ici une courte notice.
C'est un très bel in folio du douzième siècle ; il a appartenu
aux Oratoriens du collège de Troyes (1). Il ne porte d'autre
titre que ces mots : Corpus canonum velus et Exccrpta ex
Decretis Roman. Pontifie; et encore ces deux indications ne
se trouvent-elles qu'en marge du premier feuillet. Le manus-
crit commence par une courte préface : Quoniam quorumdam
romanorum,- Décréta Pontificiim., etc. (2). Puis, dès le milieu
du premier feuillet : Incipit epistola prima démentis papas.,
et l'auteur se met à citer, les lettres ou décré taies des Papes
selon l'ordre chronologique : c'est ce que ïlieiner appelle la
première partie. Viennent ensuite les canons des différents
Conciles « qu'il emprunte, dit-il lui-même, à la collection
« d'Isidore (3). » Mais il ajoute certains conciles grecs tels
que ceux d'Antioche, de Laodicée, de Chalcédoine qui ne se
trouvent pas dans la collection Isidorienne : c'est ce qui
forme la deuxième partie. Enfin, dans le reste du manuscrit,
l'auteur cite de nombreux extraits des Pères de l'Église, des
autres écrivains ecclésiastiques et des collections des lois
romaines et frankes.
Cette dernière et troisième partie ne suit plus l'ordre chro-
nologique mais bien celui des matières. On y retrouve presque
tous les titres que nous voyons figurer en tête des diverses
parties du Décret et de la Panormie [h). Pour quiconque a
(1) Mss., 38.58, fol. 1. R».
(2) Ihid.,{Q\. 1.
(3) Ihià.. fol. 117.
(4) Nous tenons ù. citer plusieurs de ces titres : ils jetteront une
vive lumière sur la discussion qui va suivre.
Ainsi au fol. 201, nous trouvons : Incipit de fide et de sacramento
fidci, au fol. 204. De baptismo. — 207. De sacramentis ecclesiasticis. —
21.5. De rébus ecclesiasticis. — 227. De primatu Romanse ecclesia. —
229. De episcopo — de clericis. — 244. De monacliis — de Virginibus.
— 252. De conjugiis — de conjugatis. — 271. De homecidiis. — 281. De
jucanUitionibus. — 28G. De janementer. — 294. De excommanicatione.
— 51 —
étudié ces deux ouvrages, le simple énoncé de ces titres indi-
que que leur auteur ou leurs auteurs ont fait à la collection
Tripartita de nombreux emprunts ; mais n'anticipons pas.
Le manuscrit du Vatican examiné par les Frères Ballerini
ressemble, d'après les indications données par eux, à celui
que nous avons étudié à la Bibliothèque nationale (1).
Mais le manuscrit de Berlin dont Theiner nous donne la
description et l'analyse, diffère de ceux que nous venons de
citer (2). Sur la première page on trouve le titre suivant, d'une
écriture relativement moderne : Libe?- Monast. B. M. V. i?i
qiio continentur modus de observatione smodi, item liber
canoniim Ivonis carnot, episc. ex sentetitiis patrum et sum-
morum pontificum in unum coUectus distinctiis in decem
libris. Ce titre évidemment est faux puisqu'il se rapporte à
la Panormie en dix livres, dont nous avons parlé dans le
chapitre précédent. Au fol. 23 et 2/i on trouve une liste des
Papes jusqu'à Urbain II et continuée par une autre main jus-
qu'à Adrien IV, mort en 115/i, Au folio 24, le copiste a placé
le prologue d'Yves que nous connaissons : Excerptiones regu-
larum^ etc. Il y est tout entier et à la fm il a ajouté : Explicit
prologus primus. Item prologus sequentis operis; et ce
second prologue n'est autre que la préface de la Tripartita
que nous avons signalée dans le manuscrit de la Bibliothèque
nationale Quoniam quorumdam Romanornm, etc. Enfin,
suit l'ouvrage tout entier auquel Theiner a donné le nom de
Tripartita.
Maintenant, dans quels rapports se trouve être cette collec-
tion avec les deux recueils attribués à Yves de Chartres,
c'est-à-dire, leur a-t-elle servi de base et même de modèle ?
Ici encore, nous nous trouvons en face des mêmes difficultés
que dans la question précédente. S'il s'agissait d'œuvres
— 298. De pœnitentia. — 298 à 331. De officiis laïcorum et camis (c'est
sous ce dernier titre que sont rangés les textes des lois romaines.)
(1) Ballerini. — De antiquis collectionibus et collectoribus canonum
ad Gratianum usque tractatar^ pars IV a, c. xviii.
(2) Biblioth. Berlin, mss. lat. N" 197. Theiner, ouvrage cité, p. 17,
— 52 —
originales où l'esprit, le style et la méthode de l'auteur appa-
raissent, on pourrait découvrir ce que cet auteur a emprunté
à ses prédécesseurs, ce qu'il a produit de son crû, en un mot
quelle est son œuvre personnelle. Mais ici rien de semblable :
non seulement, le fonds n'appartient pas à l'auteur, mais
l'idée même de l'ouvrage, l'ordre, le plan selon lequel on doit
distribuer les matières, tout cela existe déjà dans les recueils
antérieurs : dans celui d'Anselme, de Burchard de Worms.
Donc, ni le fonds, ni la méthode, ni le style ne peuvent nous
aider à trouver une solution.
Il est encore un autre moyen de constater si un autem' en
a reproduit un autre : c'est d'arriver à bien préciser les dates
des différents manuscrits ; mais ici les trois recueils appar-
tiennent à la même époque, c'est-à-dire au douzième siècle.
Nous en sommes donc réduits à examiner les textes cités, à
rechercher ceux qui sont communs aux deux et même aux
trois ouvrages.
Pour ce qui regarde les Décrétales ou Lettres des Papes
c'est-à-dire la première partie delà collection Tripartita^ elles
sont les mêmes plus ou moins nombreuses dans les trois
recueils (1). Et cela s'explique : le rédacteur ou les rédacteurs
de nos trois ouvrages ont copié le recueil du pseudo-Isidore,
insérant les fausses comme les vraies Décrétales de cette
collection. Depuis la fin du neuvième siècle où la collec-
tion pseudo-Isidorienne avait vu le jour, il n'était venu à
l'esprit de personne que l'erreur et la falsification fussent
mêlées à la vérité.
De même pour les textes des Conciles (2^ partie) ils ont été
également copiés dans la même collection, sauf ce qui regarde
les Conciles grecs dont nous avons parlé plus haut et dont le
pseudo-Isidore ne fait aucune mention. Donc ici encore, au
seul point de vue des textes, il serait difficile de décider
l'antériorité d'un de ces trois ouvrages.
(1) Theincr (f/e6er Yvd's, p. 29 note 5.) cite trente-huit chap. de la
Panomiie, qui sont exactement les mêmes que dans la Tripartita.
— 53 —
Mais c'est surtout sur la troisième partie de la collection
Tripartita, c'est-à-dire sur les extraits des Pères et des lois
romaines que s'appuie Theiner pour prouver que la Panormie
a été faite sur la Triparlita. « Yves, dit-il, a copié dans sa
« Panormie des chapitres entiers avec leurs rubriques sans
« y rien changer (1). » Et il cite à l'appui plus de cent passages
ou chapitres qu'il a copiés sur la Tripartita (2). a. Toutes les
« lois romaines, dit-il encore, que contient sa Panormie, il
« les a empruntées à la seule Tripartita. » Et il cite encore
plus de cent douze passages à l'appui de son assertion (3).
Mais, que prouvent tous ces rapprochements, tous ces
nombreux textes signalés dans les trois ouvrages, lorsqu'il
s'agit d'antériorité? Que la Panormie, que le Décret contien-
nent cent, deux cents et même trois cents passages de la
Tripartita, cela ne prouve pas que cette dernière collection
soit antérieure aux deux autres. Cependant, il y a une
raison que n'invoque pas Theiner et qui est plus décisive que
tous ces rapprochements de textes : c'est le plan et l'ordre
même de la Tripartita. En effet, il est plus naturel qu'un
livre où les documents sont disposés par ordre chronologique,
soit antérieur à celui où ces mêmes documents sont rangés
d'après l'ordre des matières : à priori, le premier paraît plus
rudimentaire, il a plutôt l'air d'une collection de matériaux
rassemblés pièce à pièce, à mesure que l'auteur les rencontre,
que d'un livre composé avec méthode. C'est la même diffé-
rence qu'entre les annales et l'histoire proprement dite : pour
les premières, l'auteur se contente d'ajouter les faits, les uns
aux autres, sans les étudier, sans les grouper, sans montrer
l'enchaînement qui les relie : en un mot, il n'est qu'annaliste;
l'historien lui, s'empare des matériaux accumulés par l'anna-
liste, les étudie, les compare entre eux, en forme une trame,
une œuvre complète qui possède âme et corps : ce ne sont
(1) Theiner, Ibid., p. 27.
(2) Theiner, ouvrage cité p. 27, note 3.
(3) Ibid., p. 28, note 4.
— 54 —
plus les ossements d'un squelette, ajoutés les uns aux autres,
c'est un être vivant, c'est un homme. II est évident que l'an-
naliste, le chroniqueur est toujours antérieur à l'historien ou
philosophe qui recueille les faits, les met en ordre et les
explique. C'est pour la même raison que nous accordons
l'antériorité à la Tripartita sur le Décret et la Panormie.
D'ailleurs, si on lui contestait cette antériorité, il faudrait
admettre , en raison des nombreuses ressemblances cons -
tatées entre elle et les deux recueils d'Yves, qu'elle a été
copiée sur l'un des deux, ce qui serait absurde. Quand on a
entre les mains un livre où les choses sont disposées par
ordre de matières, c'est-à-dire pour la plus grande commodité
des recherches , il serait assez étrange , surtout , lorsqu'il
s'agit d'un recueil de ce genre, qu'on allât prendre chaque
document pour le replacer à son ordre chronologique : dans
quel but? S'il s'agissait dans cette collection, d'une étude
critique des textes pour les ramener à leurs véritables sources
et préciser exactement la date où ils ont paru, cela se com-
prendrait encore; mais il faudrait bien peu connaître ces
temps du moyen âge pour supposer un instant que l'auteur y
ait pensé, et pour croire qu'il se serait livré à un pareil tra-
vail. Au onzième ou douzième siècle, on ne s'inquiétait guère
des dates ou des sources : les idées de critique historique
faisaient complètement défaut, on peut le voir par la lecture
des manuscrits : on entassait pêle-mêle tout ce que l'on trou-
vait, dès lors que les sujets traités paraissaient avoir quelque
analogie, on ne s'inquiétait ni de l'auteur, ni de l'époque où il
avait vécu. Ainsi, pour ces décrétales des Papes, pour ces
canons de conciles cités en si grand nombre dans la Tripar-
tita, il n'est jamais question de dates, l'auteur n'a pas l'air
de s'en préoccuper en aucune façon. Néanmoins, il faut le
reconnaître, la chronologie n'y est pas trop en faute, car dès
ce temps-là on avait des listes très exactes des Papes et l'au-
teur insérait leurs lettres d'après l'ordre de ces listes.
Ainsi, l'ordre et le plan de la collection Tripartita suffi-
raient seuls à lui assurer l'antériorité sur les deux autres
-- S5 —
recueils. Nous ne sommes donc pas étonnés de voir Theiner
affirmer franchement qu'Yves de Chartres avait la Tripartita
sous les yeux quand il composa sa Panormic, et que l'auteur
du Décret y a également puisé à pleines mains.
Mais ce que Theiner a deviné avec son flair de chercheur et
d'homme qui étudie aux sources mêmes, nous le savons par
des affirmations certaines , par des documents qui ont
échappé à l'œil du savant allemand, et qu'il nous a été donné
d'examiner à loisir : nous voulons parler des manuscrits du
bénédictin D. Gellé que nous avons déjà cités (1).
Le premier (n° 12,317), le seul dont nous nous occuperons
ici est intitulé : Lectioiies in Yvonem. Il renferme les maté-
riaux d'une édition des œuvres d'Yves de Chartres que
D. Gellé voulait donner au publié. Dans sa Préface (2), l'au-
teur indique les différents ouvrages qu'il doit faire entrer dans
son édition. Arrivé aux œuvres de droit canon de notre prélat,
le savant bénédictin annonce au lecteur « qu'il a entre les
« mains trois collections de canons composées par Yves » (3).
« La première, dit-il, et la plus ancienne qu'il paraît avoir
« composée avant son élévation à l'épiscopat, est contenue
« dans un vieux manuscrit de l'abbaye de Notre-Dame de
« Josaphat, près de Chartres {h), dans lequel se trouve beau-
« coup d'extraits des lettres des souverains pontifes, depuis
(( Clément jusqu'à Urbain , d'après l'ordre chronologique ,
« avec une petite Préface » (5). — « Ensuite, dit-il, se trou-
ce vent des canons extraits des Conciles tant généraux que
« particuliers. »
(1) Biblioth. uat., nouv. fonds lat. N» 12317 et n» 12318.
(2) Ibid., mss. 12317, fol. 38.
(3) « Très: canonum coUectiones ab Ivone identidem compositas prae
« manibus habemus. » Voir mss., cité. (Préface), fol. 38. V°.
(4) « Primam antiquiorem quam ante adeptum episcopatum congessmc
« videtur ordine naturali, simpUci et chronologico ex vetustissimo , cod.
» mfis. Abbatise B. M. de Josaphat, propè Carnutum. » Voir mss. cité
fol. 38.
(5) C'est celle que nous avons signalée dans le mss. (3858) de la
Biblioth. nat.
— 56 —
Qui ne reconnaîtrait, à ces indications, un manuscrit de la
Tripartita en tout semblable à celui de la Bibliothèque natio-
nale (n° 3858) , ainsi qu'à celui de Berlin analysé par Theiner?
L'ordre chronologique suivi par l'auteur, la petite Préface, les
décrétales des Papes, les canons des Conciles toujours par
ordre chronologique, c'est beaucoup plus qu'il n'en faut pour
montrer que nous sommes en présence d'un manuscrit véri-
table de la Tripartita.
« Dans la liste des Papes, dit D. Gellé continuant son ana-
(( lyse, il est fait mention des papes Chrysogone et Mer-
« cure » (1), (absolument comme dans le mss. de Berlin).
(( Vers la fin du volume, continue le bénédictin, se trouvent
« des extraits des Pères et des sentences rangées en ordre à
(( peu près sous les mêmes titres et rubriques que celles du
(( Décret et de la Panormie. » Et il termine par cette ré-
flexion : « Ut nemo sit qui in eo Codice delineatam et
« informem tùm Decreti tùm Panormiœ speciem non cons-
(( jnciat (2). »
Ainsi, se trouve pleinement confirmée l'opinion de Theiner
qui, en examinant de près les textes et en les rapprochant,
était arrivé à cette conclusion : qu'Yves de Chartres en com-
posant sa Panonnie avait dû avoir la Tripartita sous les
yeux, et qu'il y avait trouvé les matières, le plan et l'esquisse
de son ouvrage qi(asi delineatam speciem. »
Ce qui vient encore corroborer le sentiment de Theiner c'est
l'origine même de ce manuscrit que nous ne possédons plus,
mais que D. Gellé avait entre les mains au commencement du
dix-huitième siècle (1708). Il vient de l'abbaye de Josaphat,
tout près de Chartres, c'est-à-dire d'un lieu qui devait être
familier à notre Prélat. Selon toute probabilité ce manuscrit à
dû lui appartenir, et il en aura fait présent à la Bibliothèque
de l'Abbaye. « Plusieurs écrivains, ajoute D. Gellé, regardent
(1) Au nom de Mercure, D. GelU' met à la marge : « Joanem II*
qui et Mercurius dicebatur. » Voir mss. cité fol. 42. V".
(2) Mss. cité fol. 39.
— . 57 —
<( ce manuscrit comme étant un autographe même d'Yves de
« Chartres : Ut Ivonis ipsius aiUographum qiio, ante diges-
« ttmi Decrctiim, in propositis undeqnaque qiœstionihus
(c resolvendis velut enchiridio iitnretur (1). » Ce qui n'aurait
rien d'étonnant et paraît assez vraisemblable. C'est ainsi,
en effet, que procèdent ceux qui veulent donner au public
des recueils ou dictionnaires : il leur faut d'abord préparer,
rassembler leurs matériaux; puis distribuer, ordonner ces
matériaux pour réunir sous un même titre ceux qui se rappor-
tent au même sujet. Qu'y a-t-il alors de plus naturel qu'Yves
de Chartres ayant l'intention de faire un recueil de droit
canon, à l'exemple de Reginon de Priimn et de Burchard de
Worms, ait commencé par rassembler dans un volume tout
ce qui lui était nécessaire pour composer son ouvrage? Que
fait-il? Il prend la grande collection qui, depuis deux siècles,
faisait autorité : celle du pseudo-Isidore; il en extrait les
décrétales les plus importantes, et il y ajoute les lettres
des papes depuis le neuvième siècle. Puis, il copie la suite
des Conciles de la même collection ; mais comme on connais-
sait mieux au onzième siècle l'histoire générale de l'Église,
Yves ajoute aux conciles d'Isidore , les conciles grecs de
Laodicée, de Chalcédoine,etc... Enfin, il prend dans Burchard
de Worms les extraits des Pères, les lois des rois chrétiens et
des empereurs romains : cette fois il possède tous les maté-
rieux nécessaires pour composer un ouvrage mieux digéré;
il transformera cette (( imligesta moles » en un ouvrage plus
méthodique et plus régulier; il nous donnera la Panormie.
Ce qui confirme notre opinion c'est que l'évêque de Chartres,
dans beaucoup de ses lettres, surtout dans les premières,
par ordre chronologique , appuie souvent ses réponses par
des textes et des canons de Conciles qu'on ne trouve que
dans la Tripartita^ et qui ne se rencontrent pas dans la
Panormie (2) .
(1) Mss. cité fol. 38.
(2) Epist. 47. Collect. Tripart., p. I, tit. 46, c. n. — Epist. 60. Col-
— o8 —
Il est donc incontestable qu'Yves avait entre les mains la
Tripartita^ qu'il y a puisé largement, qu'elle lui servait de
manuel, d'enchiridion, lorsqu'il avait à répondre aux nom-
breuses questions qu'on lui soumettait de tous les côtés.
Alors, pourquoi n'attribuerions-nous pas la paternité de cet
ouvrage à Yves lui-même? Le manuscrit, il est vrai, ne
porte aucun nom, ni aucune date de sa composition ; mais il
en est de même pour beaucoup de manuscrits du moyen âge,
c'est à ceux qui les étudient à déterminer les dates et à cher-
cher les noms des auteurs.
Il n'est pas difficile, il nous semble, d'établir l'époque de
la composition de la Tripartita. D'abord, il n'est nulle part
question de cet ouvrage avant le onzième siècle : on connaît
les recueils d'Isidore, de Reginon, de Burchard, mais il n'est
nullement question de cette collection. En outre, ayant em-
prunté toute sa troisième partie à Burchard, l'auteur a donc
composé son ouvrage après celui de l'évêque de Worms,
c'est-à-dire après 1025. D'un autre côté, la Tripartita con-
tient , dans la longue série des décretales des Papes des
lettres d'Urbain II, et il ne s'en trouve aucune des Papes pos-
térieurs à Urbain, d'où il faut conclure que la date de ce ma-
nuscrit ne peut point aller au-delà du onzième siècle (Urbain
meurt en 1099), et puisque l'auteur cite à la suite et dans
leur ordre chronologique les Papes dont il emprunte les
épîtres, nous sommes autorisés à penser qu'il vivait au temps
d'Urbain II, et qu'il a composé son ouvrage pendant le règne
de ce pape. Voilà donc la composition de la Tripartita circons-
crite entre deux dates certaines : la mort de Burchard en
1025, et celle d'Urbain II en 1099.
Or, n'est-ce pas précisément l'époque où vécut Yves de
C-hartres? Urbain monta sur le trône pontifical en 1089,
c'est-à-dire au moment où Yves était encore à la tête de l'Ab-
baye de Saint-Quentin, et se livrait, comme nous l'avons dit,
lect. Tripart.., p. I, tit. 3î, c. ii. Pour les autres rapprochements de
textes, voir Theiner, ouvrage cité p. 30 (note 6).
— 59 —
à l'enseignement des lettres et de la théologie dans l'école
même qu'il avait fondée. Quoi de plus naturel alors que le
docte professeur ajoutât aux décrétales qu'il avait déjà
réunies celles du nouveau pape dont il pouvait avoir con-
naissance? (1)
Il ne peut donc plus y avoir aucun doute sur la date de la
composition de la Tri'partita : elle a été rédigée dans la
seconde moitié du onzième siècle.
Quant au nom de l'auteur la certitude est moindre ; mais
d'après ce que nous avons dit, et sur le mode de composition,
et sur les nombreux emprunts, et sur les citations exactes et
textuelles qu'Yves en a faites dans ses lettres et dans sa
Panormie, nous avons tout lieu de supposer que la collection
n'a pas d'autre auteur que notre Yves lui-même. 11 aura con-
sacré ses quinze années passées à l'Abbaye de Saint-Quentin,
a réunir dans ce grand volume tous les matériaux qu'il a pu
connaître pour en faire, comme il le dit lui-même dans la
Prologue de la Panormie « un manuel, un enchiridion où le
« lecteur puisse trouver immédiatement le point qu'il cher-
« che » (2).
D'un autre côté, on s'explicpie très bien qu'Yves, dans son
Prologue, ait gardé le silence sur ce premier recueil ; pour lui
ce n'était pas un ouvrage destiné à voir le jour, c'était une
somme de matériaux qu'il réservait à son usage particulier,
et pour la composition d'un gi'and ouvrage sur le droit canon ;
il était inutile de faire entrer le public dans la confidence et
de lui faire connaître ce travail préparatoire.
D'ailleurs, il suffit de parcourir attentivement les sept ou
huit premières lignes du Prologue pour être convaincu de ce
que nous avançons, nous les citons textuellement : Excerp-
tiones ecclesiasticarum regiilarum partim ex epistolis Ro-
manoriim pontificum, partim ex gestis conciliorum catho-
(1) On sait qu'Yves de Cliartres fut sacré évêque par Urbain II
lui-même, à Alatrie en 1090.
(2) Voir Prologue Panormie (fin).
— 60 —
licorum episcoponim^ partim ex tractatibus Patrum ortho-
doxonim^ partim ex institutionihus catholicorum regum
nonmiillo labore in unum {opus) corpus adimare cwavi Cl).
Qui pourrait ne pas reconnaître, avec la dernière évidence,
dans ces quelques lignes qui sont tout le programme d'Yves,
et le plan et les matières de la Tripartita, dont l'auteur veut
faire un seul livre [iinum opiis) commode et pratique? Ne dit-
il pas clairement que tout ce qu'il va donner, il l'a tiré des
Épitres des Papes, des canons des conciles, des ouvrages
des Pères, des lois des rois catholiques, en un mot de toutes
les sources dont se compose la Tripartita ? Qui ne voit dans
cette énumération le dessein formel de l'auteur de mettre à la
portée de tout le monde ce que lui possède dans son recueil?
C4'est lui-même qui nous le dit : « Ut qui scripta illa ex
« quihus ista excerpta sunt ad manum habere non poterit^
« hiiic saltem accipiat qiiod ad commodiim causse skss
« valere perspexerit (2). »
Enfin, un dernier argument qui n'est pas sans importance
en faveur de notre thèse : c'est que le prologue d'Yves se
trouve en tête de la Tripartita; du mohis dans le manuscrit
de Berlin (3). Évidemment, le prologue n'a pas été fait pour
cette collection : la simple lecture le démontre assez claire-
ment, cependant, pourquoi le rédacteur des manuscrits de
Berlin l'a-t-il inséré en tête de son volume? C'est qu'il sup-
posait que l'Évêque de Chartres en était l'auteur ; il débute
par le prologue avec ces mots : « Prologus sequentis operis. »
Et il se met immédiatement à copier le prologue bien connu
d'Yves de Chartres, indiquant que cette préface appartient
à l'ouvrage qui va suivre.
Nous ne prétendons pas que tous ces arguments soient
décisif? en faveur de notre sentiment, néanmoins ils ne lais-
sent pas que de lui donner une certaine vraisemblance ; et si
(1) Prologue (commencement).
(2) Ibid..
(3) Voir plus haut. (Descriptions du mss. de Berlin).
— 61 —
nous ne pouvons pas, comme nous l'avons fait pour la Pa-
normie, attribuer avec une pleine certitude, la paternité de la
collection Tripartita à notre Evêque de Chartres, du moins
nous pouvons dire que notre opinion a pour elle une grande
probabilité.
CHAPITRE IV
LE DÉCRET
Le Décret appartient-il réellement à Yves de Chartres,
comme on l'a cru jusqu'ici? Comment a-t-il été composé?
Dans quels rapports est-il avec la collection Tripartito, ?
Enfin, quels sont les manuscrits qui nous restent?
Autant de questions qu'il importe de résoudre et à la solu-
tion desquelles nous consacrons le présent chapitre.
Disons d'abord que le nom de Décret^ pas plus que celui
de Panormie, n'a été donné au recueil par l'auteur lui-
même : il est même très probable que ce titre n'a été mis
en tête de cette collection que longtemps après sa rédaction,
puisqu'on ne le trouve dans aucun des manuscrits qui nous
restent (1).
Maintenant, dans quels rapports est le Décret avec la collec-
tion Tripartita?
Nous avons déjà répondu implicitement à cette question
dans les deux chapitres précédents : en prouvant l'antériorité
de la Panormie sur le Décret, et en examinant les rapports
de la Panormie avec la Tripartita.
(1) On sait que ce u'est pas Gratien qui a donné à son recueil, le
nom de Décret qui lui est resté dans l'histoire. Il avait intitulé sa
collection : •« Concordantia discordantium canonum. » Ce sont ses dis-
ciples qui après sa mort, ont imposé à son ouvrage le titre de Décret.
— 63 —
Si en elTet, il est prouvé, d'un côté que la Panoimie a été
faite avec les matériaux de la Tripartita ; si, de l'autre, il est
admis que le Décret n'est que le développement de la Pa-
normie^ il s'ensuit que l'auteur du Décret a réellement repro-
duit une partie de la collection Tripartita dans son ouvrage.
Mais, comme le Décret est beaucoup plus considérable
que la Panormie et que les emprunts fait à la Tripartita doi-
vent être plus nombreux, il est nécessaire de revenir sur la
question : d'entrer dans le détail de la composition du Décret
et de voir d'une manière plus précise, ce qu'il doit à cette
dernière collection.
Comme nous l'avons dit déjà, le Décret contient dix-sept
parties sous lesquelles sont rangés un grand nombre de cha-
pitres (1). Le plan et la forme de l'ouvrage sont absolument
semblables à la disposition de la Panormie : division par
livres ou parties, rubriques des chapitres, manière de citer
les textes et documents, tout ressemble à la Panormie; seu-
lement le Décret est plus abondant, plus développé, il con-
tient beaucoup plus de textes que la Panormie; et il y a ceci
de remarquable : c'est que le Décret est plus développé que
la Panormie^ là où la même matière est plus abondante dans
la collection Tripartita. On voit que le rédacteur avait en
même temps sous les yeux les deux collections. C'est l'opi-
nion du savant auteur de l'Histoire du droit romain au moyen
âge, qui a étudié la question dans les manuscrits et aux
sources les plus authentiques (2).
Nous avons déjà dit comment l'auteur du Décret était
arrivé à diviser son ouvrage en dix-sept parties, tout en sui-
vant Tordre et le plan de la Panormie^ il a simplement
dédoublé les huit parties de ce dernier recueil.
Quand à la dix-septième partie (3), elle a été ajoutée aux
autres comme un appendice, disons le mot, comme un hors
(l)Il y a certaines parties où il s'en trouve jusqu'à 378 et même 435.
(2) Savigny, Histoire du Droit Rom. au Moyen âge, t. II, § 107.
(3) Elle est intitulée : « Sentcntiœ spéculative sanctorum Patrum^
« de Fide, spe et churitate. »
— 64 —
d' œuvre: c'est ce qui explique son absence dans le manuscrit
de la Bibliothèque nationale (1), ainsi que dans tous les
abrégés qui ont été faits du Décret. Cette omission prouve
que les copistes regardaient cette dix-septième partie comme
apocryphe ou inutile ; elle a été empruntée en grande partie
aux OEuvres de saint Augustin et au Recueil de Burchard de
Wo]"ms.
La première et la deuxième partie du Décret ont été puisées
en entier dans le Panormie^ mais les quatorze autres parties,
tout en suivant le plan de ce dernier ouvrage, ont été em-
pruntées à la troisième partie de la Tripartita qui présentait
des rubriques plus nombreuses. Le rédacteur du Décret a
a réuni souvent plusieurs de ces rubriques en une seule,
selon que le plan de son ouvrage l'exigeait. Ainsi la troisième
partie {De Eccleùa) correspond à la troisième rubrique de la
Tripartita (troisième partie) . La quatrième partie du Décret
correspond à la quatrième, cinquième, sixième et septième
rubrique de la Tripartita ; la cinquième partie {De primatu
romanse ecclesiœ), correspond à la huitième et neuvième
rubrique de la Tripartita.
La sixième partie à la dixième rubrique.
La septième partie à la onzième, douzième, treizième, qua-
torzième rubrique.
La huitième partie à la quinzième rubrique.
La neuvième partie à la seizième, dix-septième, dix-huitième
dix-neuvième rubrique.
La dixième partie à la vingtième rubrique.
La onzième partie à la vingt et unième rubrique.
La douzième partie à la vingt-deuxième rubrique.
La treizième partie à la vingt-troisième, vingt-quatrième,
vingt-cinquième et vingt-septième rubrique.
La quatorzième, quinzième et seizième partie à la vingt-
septième, vingt-huitième, vingt-neuvième qui est la dernière
de la Tripartita.
(1) Ane. fonds lat. N» 3874.
Mais l'auteur du Décret ne se contenta point du plan et de
la division des rubriques de la Tripartita, il en copie également
les matièies contenues sous ces diverses rubriques.
A l'exemple de l'auteur de la Panormie^ il fit de nombreux
emprunts à la collection de Burchard (1).
Savigny, qui lui aussi a étudié de près le Décret el la collec-
tion Tripartita « trouve entre ces deux ouvrages des analo-
« gies frappantes surtout (et c'était là ce qui l'intéressait
« davantage; pour les citations de lois romaines. » — « Des
« séries entières, dit-il, de fragments empruntés au droit
« romain paraissent dans les deux collections exactement
« dans le même ordre ("2) •» . Et il cite la seizième partie du
Décret où sur cent trente-six chapitres pris de suite (de
soixante à cent quatre-vingt quinze) il s^en trouve cent quatorze
qui contiennent des fragments du Droit romain rangés et dis-
posés absolument dans le même ordre que dans la Tripartita
et sous les mêmes rubriques (3), « de sorte, continue Savi-
« gny, qu'il faut admettre tant l'analogie est frappante, que
<( le Décret d'Yves a servi de modèle à la collection Tripar-
« tita ou vice versa; » mais le Décret lui paraissant rédigé
d'après un plan plus étudié et plus systématique, le docte
jurisconsulte est d'avis que ce dernier recueil a été composé
sur la Tripai'tita [h).
Toutes les citations et rapprochements que nous venons
de faire nous amènent à connaître d'une façon presque cer-
taine, la manière dont l'auteur a composé son Décret. Il est
arrivé pour ce recueil, dans le monde littéraire, ce qui arrive
toujours lorsqu'on discute la paternité d'un ouvrage, on veut
l'enlever à un écrivain et l'on est souvent forcé de lui en attri-
(i) Theiner, p. il (note 14) cito par centaines les chapitres em-
pruntés au recueil de l'évêque de Worms ; M renonce même à tout
énumérer.il termine ses citations par etc.
(2) Savigny, ouvrage cité t. II, § 107.
(3) C'est le dernier grand titre de la Tripartita « De officiis et eau-
sis Laïcorum », oii sont rassemblées toutes les matières juridiques.
(4) Ibid., loc. cit., § 107.
— 66 —
buer un autre : il faut bien compter avec la réputation qui
s'est foimée du temps même de Tauteur et se perpétue à tra-
vers les âges. C'est ce qui s'est passé pour Yves de Chartres.
Des écrivains, frappés de l'importance et des développe-
ments du Décret^ et lui comparant l' exiguïté de la Panormie,
sans entrer davantage dans l'examen des textes et la compo-
sition de l'ouvrage, ont affirmé qu'Yves avait d'abord composé
un grand recueil de canons, le Décret; puis, qu'un autre
écrivain, quelques années plus tard, en avait fait un abrégé;
et ayant rencontré le mot de Panormie dans un ouvrage de
Hugues de Chàlons, ils l'ont regardé comme l'auteur de cet
abrégé (4). Mais cette opinion émise par des hommes qui
n'avaient que superficiellement étudié la question fut facile-
ment battue en brèche par Doujat, le docte Baluze et les
savants auteurs de VHistoii^e littéraire (5).
D'un autre côté cependant, ces mêmes auteurs prétendent
que l'Évêque de Chartres a commencé par écrire sa Panormie
et que voyant l'accueil favorable fait à son ouvrage, il se
décida à la refaire plus en grand, tout en conservant le même
plan : « C'est ce qu'il réalisa, ajoutent-ils, par la rédaction
u de son Décret. 11 ne fit que changer un peu l'ordre des
« sujets, dont traite la Panormie., les discuter avec beaucoup
« plus d'étendue et y en a ajouter de nouveaux (3). »
Mais, où voit-on dans la vie et les œuvres d'Yves de Chartres
qu'on avait fait un accueil favorable à la Panormie'l Nulle
part; on le regardait comme un savant canoniste, mais en
nul endroit de ses lettres il n'est question ce cet accueil;
nous répétons ici que notre auteur ne parle qu'une seule
fois de ses ouvrages, c'est dans sa lettre à l'abbé de Cluny [h).
(1) Nous avons montré plus haut (voir ch. n), qu'il était bien facile
de ne pas tomber dans cette erreur, puisque Albéric des Trois- Fon-
taines dit formellement que l'évèque de Ghâlons a composé un
enchiridion « secundum Panoimiam Ivonis. »
(2) Histoire littéraire, t. X, p. 119 et suiv.
(8) Ibid., p. 122.
(i) Epist. 2G2. Colkctioncs canonum et opuscida mea.
— G7 —
L'assertion des savants bénédictins nous paraît donc toute
gratuite.
Que dirons-nous de cette autre affirmation qui ne nous
étonne pas moins de leur part : que dans le Décret^ Yves
discute davantage les sujets traités dans la Panormie ? Mais
l'auteur du Décret ne discute absolument rien dans son ou-
vrage, il se contente d'ajouter aux Décrctales, aux canons
déjà contenus dans la Panormie^ d'autres lettres des Papes,
d'autres canons des conciles ; mais il ne discute aucun des
textes ni des documents qu'il cite.
Et c'est là précisément notre grand regret, et une forte
preuve en faveur de l'opinion que nous soutiendrons à la
fin de ce chapitre : c'est que l'auteur du Décret n'entre dans
aucune discussion. Autrement, il nous eût dit : J'ai prouvé
telle chose par tels et tels textes dans la Panormie^ en voici
d'autres qui viennent corroborer mon sentiment, c'est ce
que fait Gratien dans son grand ouvrage de Droit canon. Si
les choses se fussent passées ainsi, la discussion que nous
soulevons ici et qui fait l'objet de ce travail n'aurait jamais
eu lieu.
Les FF. Ballerini, dans leur dissertation sur le Décret ont
soutenu également que cet ouvrage n'est que la Panormie^
augmentée, développée par de nouveaux textes et rédigée sur
un plan nouveau et dans un ordre meilleur (1).
En effet, pour quiconque se contente de prendre les deux
ouvrages et de les comparer l'un à l'autre, parties par parties,
sans examiner ni les collections antérieures, ni le Prologue,
ni les dates, ni les manuscrits, il arrive assez naturellement à
conclure que le Décret n'est que le développement de la
Panormie. Et d'ailleurs, quand cela serait, il ne serait pas
encore prouvé qu'Yves de Chartres soit l'auteur de ce second
ouvrage. Aussi, nos deux savants italiens ne donnent-ils leur
jugement qu'avec une certaine hésitation : « Si nous avions à
«• douter, disent-ils en terminant, de la paternité de ces deux
(l) Ballerini, op. cil., pars IV a, c. xvi.
— 68 —
« ouviages (la Panormie et le Décret) ce serait plutôt du
« second que du premier (1), » C'est-à-dire que la paternité
de la Panormie leur paraissait établie sur des preuves invin-
cibles, tandis que pour le Décret, ils étaient loin d'en posséder
d'aussi fortes. Eux-mêmes se plaignent de la rareté des ma-
nuscrits, ils regrettent de n'y trouver ni le nom d'Yves, ni
son Prologue et ils terminent par cette hypothèse : « Après sa
(( Panormie, disent-ils, Yves composa une collection de ca-
<( nons plus considérable, mais ne la donna peut-être pas lui-
(( même au public. On l'aura trouvée après sa mort, et on
« aura ajouté le prologue de la Panormie aux rares manus-
« crits qui existaient, c'est peut-être pour cela que dans le
« manuscrit de saint Victor on a mis le Prologue no7i in
(( fronte secl in fine Decreti (2) . »
Leur affirmation, on le voit, est donc loin d'être catégo-
rique et décisive : elle laisse le champ ouvert à la discussion.
Savigny qui a étudié non seulement la Panormie et le Dé-
cret mais encore la collection Tripartita arrive à peu près à la
môme conclusion que les Ballerini avec cette différence toute-
fois qu'il reconnaît et prouve qu'Yves a copié beaucoup et
beaucoup la Tripartita ; qu'il a pris le plan du Décret dans la
Panormie et les matériaux dans l'autre collection, de sorte
que son livre aurait été formé de la fusion des deux autres.
Néanmoins il ajoute comme les Ballerini : « Nous avons
« beaucoup moins de motifs pour attribuer à Yves la rédac-
« tion du Décret que celle de la Panormie (3). »
Chez lui aussi, on le voit, il n'y a pas une certitude bien
fondée sur l'authenticité du Décret : il reste des doutes sérieux
dans son esprit.
L'opinion de Tlieiner nous paraît beaucoup plus naturelle
et mieux établie. Le savant allemand ne raisonne pas h. priori
sur la simple comparaison des textes contenus dans les di-
(1) Ballerini, ojj. cit., c. xvi.
(2) Ibid.
(3) Savigny, ouvrage cité t. II, § lO'J.
— 69 —
verses éditions des œuvres d'Yves : il s'appuie sur des docu-
ments historiques et sur un examen scrupuleux des manus-
crits.
La Pcmormie, dit-il, comparée à l'énorme collection Tri-
partita paraît pauvre et incomplète pour trancher toutes les
questions qui pouvaient s'élever dans l'Église.
Yves aurait pu certainement puiser davantage dans la col-
lection qu'il devait avoir entre les mains (1) et il aurait pu
augmenter le nombre des rubriques et des chapitres sans
nuire certainement à l'ordre général de son livre.
Or ce qu'Yves n'a pas fait, ajoute-t-il, deux autres l'ont
fait : l'un qu'il prétend être Hildebert du Mans dans sa Pa-
normie en dix livres (2) et l'autre qui de parti pris, a usurpé
le nom d'Yves, ou ce qui est plus vraisemblable par l'erreur
ou l'ignorance des copistes a composé un ouvrage qui nous
est parvenu sous le nom d'Yves de Chartres : c'est ce compi-
lateur inconnu qui pendant la vie de notre prélat où quelque
temps après sa mort aurait rédigé le Décret : il aurait eu à sa
disposition, comme nous l'avons montré plus haut (3) et la
collection de Burchard dans laquelle il a puisé à pleines
mains et la Panormie dont il a copié le plan en en dédou-
blant les parties et dont il a reproduit la plupart des textes {h)
et enfin la collection Tripartita, à laquelle comme le recon-
naît Savigny, il a fait les plus larges emprunts et qu'il a, en
beaucoup d'endroits, copiée textuellement. Puis, cela fait, il
a jugé qu'il n^ avait rien de mieux pour lui que de placer en
tête de sa compilation le Prologue et de la faire accepter
grâce au nom et sous le couvert d'un homme si savant en
droit canon, dont la réputation ne faisait que croître, même
après qu'il avait disparu de la scène du monde.
(1) Ce que Theiner ne faisait que supposer par l'examen des textes,
nous le savons aujourd'hui par les attestations de D. Gellé et par la
description qu'il donne du mss. de Josaphat (voir mss. 12317).
(2) Theiner, op. cit., p. 32 (note 8).
(3) Ghap. iir.
(4) Mss. 12317. Biblioth. nat.
— 70 —
Donc, aux yeux de Theiner, Yves dont il apprécie tout le
talent et les lumières n'est pas l'auteur du Décret; et c'est à
tort que les copistes du douzième et treizième siècle, et après
eux les éditeurs du dix-septième en ont attribué la rédaction
à l'évêque de Chartres.
C'est cette question qu'il importe d'étudier à nouveau et
d'examiner à fond : Yves est-il réellement l'auteur du Décret
qui porte son nom? Nous ne le pensons pas et voici les rai-
sons qui nous semblent militer en faveur de notre opinion.
D'abord, la rareté des manuscrits du Décret.
La Panormie^ nous l'avons vu, était répandue partout dès
le douzième siècle (1) que dis-je ? même avant la mort de son
auteur elle était déjà connue et entre les mains de plusieurs
personnes (2). Pour le Décret^ au contraire, nous n'avons
aucun témoignage, aucune allusion dans les auteurs contem-
porains ou qui suivent de près la mort de l'évêque de
Chartres; on n'a même pas de manuscrit bien authentique de
cet ouvrage parmi les quatre ou cinq qui nous restent, comme
nous allons le voir.
Est-ce que, si Yves était l'auteur du Décret, on n'en eût
pas trouvé un ou plusieurs exemplaires soit à la cathédrale
de Chartres, soit à TÉvêché, soit dans une des nombreuses
abbayes de la ville et des environs comme on y a trouvé des
manuscrits de la Panormie et de la Trij^^artital Si le Décret
eût été le manuel ordinaire de l'Evêque de Chartres, il est
impossible qu'on n'en ait pas trouvé quelque trace autour de
lui; or, nous le répétons, on n'y a jamais rencontré le moindre
exemplaire : rien, absolument rien du Décret ou quelque
chose qui y fit allusion. N'est-ce point déjà une forte présomp-
tion en faveur de notre sentiment?
Parmi les manuscrits qui nous restent, il n'y en a pas un
(1) Voir Témoignage de. Vinconl, do Boauvais, laPfmo;'w?> en dix
livres, l'abrégé de Hugues de Châlons, d'Haimoa de Bazoches.
(2) Témoignage de Sigebert en 1110. Nous verrons à la fin de ce
chapitre, qu'il était impossible que Sigebert parlât du Décret qui
n'existait pas encore.
— 71 —
seul sur lequel on puisse faire fond et qui présente des carac-
tères certains d'authenticité.
Au commencement du dix-huitième siècle, D. Gellé qui
voulait donner une nouvelle édition des œuvres d'Yves de
Chartres écrit à tous ses confrères de France les Bénédictins
pour obtenir des documents sur les ouvrages de notre pré-
lat (1); et après avoir fait lui-même de très longues re-
cherches, il se plaint de la rareté des manuscrits ckJks 77îss.
codices rariores siait (2). En effet, D. Gellé n'en cite que
quatre : celui de saint Victor dont il s'est servi et que le
P. Fronteau a suivi dans son édition de 16Z|7, deux à la
Bibliothèque royale et un à la BibUothèque Colbert.
Et d'abord, ce fameux manuscrit de saint Victor si vanté
par Baluze (3) et qui paraît avoir servi de type aux éditeurs
du Décret ne porte en tète ni le nom d'Yves, ni même le Pro-
logue; seulement, à la lin du manuscrit, une main plus ré-
cente a ajouté ces mots : (c Liber canomim suprascriptus
« décréta loviniani quem composuit Ivo quondàm Carno-
« tensis Episcopus et continet XVII partis principales {h). »
Il est presque inutile de faire remarquer que cette indica-
tion, postérieure peut-être de plusieurs siècles au temps de
notre évêque, n'a aucune force et n'est d'aucune valeur dans
la question qui nous occupe.
Les frères Ballerini parlent dans leur dissertation sur le
Décret d'un manuscrit qu'ils nomment Vaticanus et qui con-
tient tout l'ouvrage. Mais ce document ne prouve pas plus
que le précédent, encore moins peut-être : il ne contient ni
nom, ni titre, ni prologue, il porte sknplement ces mots :
« Incipit Liber extractiorum sive excerptarum ecclesiasti-
« carum reruin partiin ex epistolis Romanorum jjontificum
« partira ex gestis conciliorum^ catholicoriim regum et con-
(1) Leurs réponses sont en tête du mss. 12317. Biblioth. nat.,
nouY. fonds lat.
(î) Ihid., fol. 38, vo.
|3) Baluze, In prœfatione ad Augustini Dialogos. N" 2 ! .
|4) Ibid.
— 72 —
« tinet XVII partes (1). » Évidemment, c'est bien un ma-
nuscrit du Décret, mais rien, absolument rien n'indique
qu'Yves en soit l'auteur : c'est un ouvrage anonyme comme
le précédent.
Tlieiner parle également d'un manuscrit qu'il a examiné à
Londres et à Vienne et qui contient le Décret et ses dix-sept
parties (2), Mais en aucun endroit du manuscrit, l'ouvrage
n'est attribué à Yves de Chartres ; on y trouve, il est vrai, le
Prologue de notre évêque ; mais il y est inséré de façon à faire
croire que ce n'est qu'une pièce rapportée, placée avant le
corps de Touvrage qui semble appartenir à un autre auteur.
Voici le commencement de ce manuscrit : « Incipit Prologiis
(( D. Ivonis Carnotensis Episcopi ante collectionem eccle-
« siasticarum regularnm de convenientiâ et dispensatione
(( eantmdem (3). »
Ce mot antè ne semble-t-il pas indiquer que ce prologue
n'est qu'une pièce de rapport insérée en tête de la collection
et qui ne fait pas corps avec elle? si l'auteur du Prologue et
au Recueil e.\xi été le même, pourquoi ce mot antè? On l'au-
rait mis simplement en tête de l'ouvrage, comme on l'a fait
pour la Panormie, Le nom d'Yves ne figure ni à la fin de
chaque partie comme on le voit souvent dans les manuscrits,
ni même, ce qui est plus étonnant, à la fin de l'ouvrage : ce
que ne manquaient jamais de faire les copistes parvenus au
bout de leur travail.
L'absence de ces indications si ordinaires dans les manus-
crits est une preuve que le Décret est anonyme et n'appar-
tient pas à l'évêque de Chartres.
Enfin, nous arrivons au manuscrit de la Bibliothèque natio-
nale (n° 387/i) que nous avons étudié avec soin et dont il est
nécessaire de donner ici une courte description : C'est le plus
complet (Ix). Ce manuscrit (douzième siècle) parfaitement
(1) Ballerini, op. cit., c. xvi.
(2) Theiner, ouvrage cité, p. 40.
(3) Ibid.
(4) Bibiioth. uat., anc. fonds lat. N" 3874.
-- 73 —
conservé contient deux cent quarante huit feuillets, il pro-
vient de la Bibliothèque Colbert (n" 935), Il a pour titre :
Panormia Ivonis carnot. Episc. collecta ex libris authen-
ticis Decretorum, canonum^ Legum romanarum de libns
orthodoxis Patriim. Puis, commence le Prologue ordinaire,
suivi de l'ouvrage entier ; la dix-septième partie quoique an-
noncée dans le sommaire (fol. h) manque complètement; aussi
une main plus récente a ajouté à la suite de la seizième
partie : Deest septima décima pars intégra.
Ici encore nous avons le droit de nous demander : que
prouve ce manuscrit en faveur de la paternité d'Yves de
Chartres? Rien absolument; son titre même est une arme
pour nous, il prouve une chose : c'est qu'on ne connaissait
d'ouvrage de droit canon de l'Évêque de Chartres que la
Panormie. Le copiste, voyant le Prologue bien connu et
constatant dans le reste de l'ouvrage qu'on y traitait du
droit canon, n'a pas soupçonné qu'il put exister un autre
ouvrage d'Yves que la Panormie., et alors il a jugé qu'il
n'y avait rien de mieux à faire que de mettre le mot en titre
en le faisant suivre des premières lignes du Prologue. Encore
une fois, si dans ce temps-là (et c'était au douzième siècle) ,
Yves eut été connu comme l'auteur du Décret, le copiste
n'aurait certainement pas remplacé ce mot par celui de Panor-
mie. S'il eut été public qu'Yves était l'auteur de deux
ouvrages snr le droit canon, le simple bon sens indique que
le copiste eut cherché à savoir lequel des deux il avait entre
les mains; mais, on le devine, il ne s'est même pas donné
cette peine, et pourquoi? Parce que lui, et comme tous ses
contemporains ne connaissaient d'Yves qu'un seul ouvrage
de droit canon : c'était la Panormie et son Prologue.
Il est donc facile de voir qu'aucun des manuscrits du
De'cret ne prouve d'une manière certaine qu'Yves en soit
l'auteur, et que les preuves solides qui nous ont servi pour
établir l'authenticité de la Panormie nous font ici complè-
tement défaut.
Il ressort clairement de ce que nous venons d'exposer que
— 74 —
dans la plupart des cas, le Décret n'a été attribué à Yves de
Chartres que parce qu'il était précédé du Prologue. Or, nous
tirons précisément de ce fait une preuve de plus en faveur de
notre sentiment.
En effet, en examinant de près les choses, on est vite
convaincu que ce prologue a été accollé au Décret comme à
beaucoup d'autres ouvrages qui certainement ne sont pas
d'Yves de Chartres. On trouvait que ce prologue contenait
d'excellentes vues, de sages réflexions sur les règles du droit
canon, alors quiconque s'occupait d'une matière analogue
s'empressait de la mettre à la tête de son œuvre pour lui
donner plus de prix et de relief.
C'est ainsi que l'auteur de la Panormie en dix Livres
commence son ouvrage par le prologue d'Yves, « afin, dit-il
« lui-même, que cette préface soit comme la porte et le
« guide du sanctuaire et qu'à sa lumière on puisse en péné -
« trer les secrets (1). »
De même, Haimon de Bazoches, quelques années après
la mort d'Yves (1154), attribuait la Panormie en dix Livres
à l'évêque de Chartres, uniquement parce qu'il la voyait
précédée du Prologue : on ne regardait pas plus loin.
D'un autre côté, il nous paraît inexplicable qu'Yves de
Chartres ait composé le Décret et qu'il n'y ait pas mis de
préface. Quoi? un auteur qui nous donne pour un ouvrage
a,ssez restreint un prologue de sept feuillets (12 col. éd. Migne)
n'aurait même pas consacré quelques lignes de préface à
son second ouvrage dont les proportions sont au moins trois
ou quatre fois plus considérables? Non, cela n'est pas possible :
si notre évêque était l'auteur du Décret, on aurait certai-
nement trouvé quelque prologue ou sujet de prologue parti-
culier à cet ouvrage.
Dira-t-on, avec les auteurs de V Histoire Littéraire et avec
ceux qui soutiennent que le Décret n'est qu'une amplification
de la Panormie faite par le même auteur, qu'Yves de
(1) Voir plus haut, ch. I", p. 50.
— 16 —
Chartres a mis en tête de son second ouvrage le prologue de
sa Panormie ?
Mais cette deuxième hypothèse serait plus inexplicable
encore que la première. Comment? Voilà un auteur qui com-
pose un premier ouvrage, il trouve qu'il n'est pas assez com-
plet, qu'il a besoin de nouveaux développements, il en rédige
un autre plus étendu, plus étudié; et alors que fait-il? Il repro-
duit le long prologue destiné à son premier ouvrage et il ne
dit pas un mot du second, pas un mot pour avertir le lecteur
qu'il a sous les yeux un recueil différent du premier, plus com-
plet, plus étendu ? Il ne dit pas un mot de la nouvelle division
de l'Ouvrage qui au lieu de contenir huit parties en compte
maintenant dix-sept ; il se contenterait simplement de les indi-
quer à la suite du Prologue sans dire pourquoi ; de sorte que
pour quiconque commencerait par lire la préface du Décret ne
s'imaginerait pas un seul instant qu'Tves ait jamais écrit un
seul ouvrage de droit canon antérieur à celui qu^il a sous
les yeux. Or, il nous semble que ce serait le cas ou jamais,
où l'auteur devrait dire quelque chose de son nouveau tra-
vail, surtout qu'il ne s'agit point ici d'un ouvrage différent,
mais d'un travail de refonte, qui offre un plan et des divisions
différentes. Non, encore une fois, une telle hypothèse ne peut
pas se soutenir un seul instant.
Le Prologue a été fait uniquement pour la Panormie et
nullement pour le Décret. S'il est inséré dans quelques
manuscrits de ce dernier recueil, ou c'est l'œuvre du compi-
lateur lui-même qui est tout autre que l'évèque de Chartres,
ou, ce qui nous parait beaucoup plus vraisemblable, c'est
l'œuvre des copistes.
Une autre preuve en faveur de notre thèse , ce sont les
abréviateurs de la Panormie.
Le premier que nous rencontrons et que nous avons déjà
cité plus d'une fois, c'est l'auteur de la Panormie en dix
Livres qui, d'après Theiner, n'a pas vécu au delà de 1130 (1).
(1) Theiner, ouvrage cité. p. 3G
— 76 —
Remarquons d'abord que cet auteur en parlant du Recueil
d'Yves de Chartres ne dit pas tractatiis, mais tractatiim :
ce détail qui tient à une lettre a son importance ; il prouve
que l'abréviateur ne connaissait d'Yves qu'un seul traité,
autrement il en eût parlé, il aurait dit par exemple pourquoi
il abrégeait la Panormie au lieu de l'Ouvrage complet. Lui
qui met deux préfaces en tête de son Livre nous eût certai-
nement expliqué cette préférence, c'était le moins qu'il pût
faire. Or, il n'en dit pas un mot, post tractatum D. Ivo7iis, et
rien de plus.
Cette deuxième préface de l'auteur de la Panormie en dix
Livres est une des choses qui nous ont le plus frappé dans
notre travail et qui nous ont confirmé davantage dans notre
sentiment. Quoi? voilà un auteur qui veut rédiger un ouvrage
de droit canon : il proclame « qu'il n'y a rien de mieux (jue
« le traité d'Yves de Chartres, » que c'est pour cela qu'il va
en faire l'abrégé, qu'il va le suivre en tout point, qu'il va
le prendre pour guide, etc., et puis ce même auteur qui
recherche ce qu'il y a de mieux ne dit pas un mot du Décret :
s'il lui paraît meilleur ou moins bon que la Panormie^ pour-
quoi il préfère suivre cette dernière, etc. — Non, cela ne
s'explique pas, ou plutôt cela s'explique facilement, c'est que
le Décret n'existait pas encore, ou ce qui est plus probable,
on ne l'avait pas encore attribué à l'évêque de Chartres.
Nous pourrions également nous demander pourquoi Hugues
de Châlons, pourquoi Haimon de Bazoches ont plutôt abrégé
la. Pa7îor?nie que.le Déo^et, pourquoi ce dernier en particu-
lier qui fait précéder son abrégé d'une assez longue préface
ne dit pas un mot du Décret; et nous arriverions à la même
conclusion.
On nous objectera peut-être le pluriel qu'Yves emploie en par-
lant de son Livre de droit canon (( CoUectiones canomim » (1)'.
— Nous répondrons par le langage d'Yves lui-même, dans un
sujet tout à fait analogue. On sait qu'il n'a jamais existé
(1) Ivon. Epist. 269 ad Pont. Abbat.
— 77 —
qu'une seule collection des canons de Burchard de Worms,
et cependant l'Evêque de Chartres écrit en parlant de cet
ouvrage : « In collectionibiis autem Burchardi Worma-
tens. (1) » Le pluriel employé par notre Prélat dans sa réponse
l'abbé de Cluny ne tiie donc pas à conséquence.
Enfin, nous arrivons à notre dernier et décisif argument :
Nous voulons parler de certaines citations que contient le
Décret et qui n'ont pu y être insérées qu'après la mort d'Yves
de Chartres, en raison de la date à laquelle elles appartien-
nent. Remarquons qu'il ne s'agit point ici de certaines addi-
tions comme on en trouve dans quelques manuscrits de la
Panormie^ de quelques textes inscrits ad calcem opej^is mais
bien de citations régulières qui sont entrées dans la trame de
l'œuvre et font corps avec elle, et qui par conséquent n'ont
pu être ajoutées, après coup, par une main étrangère. On
comprend qu'il suffirait d'une seule de ces citations de date
bien certaine, bien établie, pour démontrer d'une façon
péremptoire que la composition du Décret est postérieure à
Yves, puisqu'il contient des documents qui n'ont pu y être
insérés qu'après sa mort.
Or, en étudiant les titres et chapitres du Décret^ nos
yeux ont été frappés de certaines citations d'un Concile de
Beauvais, auquel assistait le roi Louis-le-Gros (2). Notre pre-
mière préoccupation a été de chercher la date précise de cette
assemblée : le Concile s'était tenu à Beauvais au mois de
décembre 111/i, sous la présidence du légat Conon et en pré-
sence du roi Louis VI (3). Cette date de décembre Mih nous
donna à réfléchir : c'était un an à peine avant la mort de notre
saint Prélat, et nous ne voyons dans aucune de ses lettres
qu'il ait assisté à ce Concile. Quand même Yves y aurait
assisté, il faudrait supposer qu'il n'a composé le Décret que
(1) Ivon. Epist. 80.
(2) Décret, pars III a, c. ccxxvii, ccxxviii, ccxxix, ccxxx. Ex conc.
Belvacens. prsesente Ludovico.
(3) Voir P. Labbe, Recueil général des Conc, t. X, p. 797 où on peut
lire les quatre canons cités par l'auteur du Décret.
78 —
quelques mois avant de mourir : ce qui n'est pas admissible.
D'abord, il ne nous en dit rien ; cependant déjà deux ans
auparavant, il se plaint qu'il est malade, qu'il a des infirmités,
et certes s'il eût eu à terminer un ouvrage comme le Décret^
il n'eût pas manqué de le dire. On sait quelles relations
intimes et fréquentes il entretenait avec Hildebert du Mans et
surtout avec Geoffroy de Vendôme qui avait avec lui une cor-
respondance très suivie : Il leur eût certainement parlé de son
Ouvrage ; il entre avec eux dans des détails beaucoup moins
importants. Or, nous le répétons, il n'est nullement question
de près ou de loin de la composition d'un ouvrage de droit
canon. Ensuite, est-il permis de supposer qu'un vieil évêque
de soixante-quinze à quatre-vingts ans (1), ait attendu pour
composer une œuvre aussi considérable, les derniers mois de
sa vie? Non, évidemment.
Et qu'on ne dise pas qu'il a pu ajouter ces canons (qui for-
ment des chapitres) aussitôt après le Concile de Beauvais.
Oui, à la rigueur, cela serait possible si le Décret était rédigé
d'après un ordre chronologique comme la Tripartita. Il n'y
aurait eu en effet qu'à placer ces quatre canons à la suite du
dernier Concile cité ; mais ici, il s'agit d'un ouvrage composé
sur un plan tout différent. Il n'était guère facile d'intercaler,
après coup, quatre ou cinq chapitres au milieu des autres
chapitres déjà rangés à leur place, dans le corps de l'ou-
vi'age (2).
De plus, il faudrait supposer que ces canons du Concile de
Beauvais étaient tombés dans le domaine public, quelques
semaines, quelques mois après leur rédaction. Mais, on sait
que les choses, même aujourd'hui, ne se passent point ainsi;
à plus forte raison, en plein moyen âge : pour qu'un auteur
du douzième siècle put citer dans son ouvrage les canons
d'un Concile, il fallait qu'un certain laps de temps se fut
écoulé depuis la tenue de ce Concile ; les communications,
(1) Yves de Chartres est ué certainement avant lOiO.
(2) Cette troisième partie du Décret eu contieut 284.
— 79 —
surtout entre des évêques de province différente, ne devaient
pas être si faciles (1). •
Il n'est donc pas vraisemblable que l'Evêque de Chartres
ait pu, dans l'intervalle d'une année à peine qui sépare la
date du Concile de celle de sa mort, insérer de nouveaux
documents dans un ouvrage qui alors devait être terminé (2).
Mais, nous avons mieux encore que ces quatre canons du
Concile de Beauvais. En étudiant les diverses parties du
Décret, nous avons trouvé dix citations d'un Concile de
Nantes qui s'est tenu en octobre 1127, sous la présidence
d'Hildebert du Mans (3). La date est certaine, car les docu-
ments cités par le P. Labbe sont contenus dans une lettre
qu'Hildebert adresse au pape Honorius sur les opérations du
Concile. La première de ces citations se trouve dans la troi-
sième partie du Décret : c'est le chapitre ccxxn dans lequel il
est question des sépultures ; la deuxième et la troisième appar-
tiennent à la sixième partie. Ce sont les chapitres cxcn et cxcv :
dans le premier, le Concile s'occupe des femmes qui habitent
les presbytères; dans le second, il s'occupe de l'usure (A).
Ici, évidemment, il n'y a plus à discuter, il ne peut plus
rester l'ombre d'un doute : Le Décret contient en dix endroits
différents, des canons qui n'ont été rédigés qu'en 1127, c'est-
à-dire plus de onze ou douze ans après la mort d'Yves de
Chartres ; donc notre Évêque n'en peut être l'auteur (5).
Aussi, est-il bien plus simple et plus naturel d'admettre
(1) On sait que Beauvais faisait partie, comme aujourd'hui encore,
de la province de Reims et que Chartres relevait de la métropole
de Sens.
(î) La troisième partie du D(kret qui contient ces quatre canons,
se trouve dans le premier quart du Recueil (3" partie).
(3) Labbe, Conciles, t. X, col. 918-919.
(4) Pour les autres canons voir pars III, c. ccxxii, cciv; — pars YI,
c. XXI, cLii, cLxxxi; — pars X, c. cxli, cxlv.
(5) Nous sommes étonné que Theiner n'ait point parlé de ces deux
conciles, du dernier surtout : les dates sans doute ne l'auront point
frappé; mais, avouons-le, Theiner a une bonne excuse : C'est que
les dates de ces deux conciles ne se trouvent indiquées nulle part
dans le Décret, il faut les connaître d'avance.
- 80 —
l'explication que nous avons déjà insinuée : c'est-à-dire que
le Décret a été rédigé, plusieurs années après la mort d'Yves
de Chartres, par un auteur dont le nom n'est point parvenu
jusqu'à nous et qui est même resté inconnu de ses contempo-
rains. Plus tard (1), un copiste ayant trouvé ce manuscrit
sans nom d'auteur et voyant qu'il traitait de matières de droit
canon s'empressa, en le transcrivant, d'insérer en tête du
recueil, le Prologue bien connu d'Yves de Chartres; et ainsi,
il fut cause que trois ou quatre siècles après, on ne soupçonna
pas qu'un autre que l'Évêque de Chartres en pût être l'au-
teur (2).
Telle nous paraît être la conclusion logique de la longue
discussion que nous avons essayé d'établir au sujet de l'au-
thenticité du Décret : non seulement rien ne prouve que notre
Evêque de Chartres en soit l'auteur, mais, on vient de le voir,
nous avons les raisons les plus sérieuses et les plus décisives
pour lui en refuser la paternité.
(1) Nous avons vu, en etïet, que l'auteur de la Panormie en dix
livres (1130) et Haimon de Bazoches (1154) ne connaissaient nulle-
ment le Décret.
(2) Voir les deux éditions du Décret : celle de Louvain, par Du-
moulin en 1561, et celle de Paris (1647), par le P. Fronteau.
CHAPITRE V
METHODE ET COMPOSITION
Pour justifier le titre de notre travail et être complet, il est
nécessaire de parler ici de la méthode et de la composition
des recueils qui ont fait l'objet de notre dissertation.
Nous l'avons dit déjà : il ne faut pas s'attendre à trouver
dans ces sortes d'ouvrages des oeuvres littéraires où l'esprit et
le génie d'un auteur se font jour; où une méthode nouvelle
appliquée à un sujet déjà ancien et bien connu le rajeunit et
en quelque sorte le transforme ; il ne s'agit point ici de ces
œuvres où l'auteur s' emparant d'un certain nombre d'idées
qui font partie du domaine commun de FHistoire ou de la
Philosophie les combine, les enchaîne entre elles et donne au
monde un ouvrage nouveau. Non, il ne faut pas l'oulDlier,
nous sommes ici en présence de compilations, d'encyclopé-
dies avant tout pratiques, et on aurait tort d'y chercher autre
chose.
Il ne faut point voir, non plus, dans ces sortes de recueils
des traités de théologie ou de droit canon bien ordonnés, bien
divisés, où tous les détails, tous les arguments apportés en
faveur d'une proposition générale, d'une pensée-mère sont
tellement liés et combinés entre eux, qu'il y ait comme une
marche et une progression visible vers la conclusion à laquelle
on veut arriver. Il n'y faut pas chercher de ces grandes et
— 82 —
larges divisions sur un sujet comme nous en rencontrerons
plus tard dans la Somme de saint Thomas d'Aquin et dans nos
théologiens modernes; non, au moyen âge, au onzième siècle,
on n'avait pas l'idée d'un pareil travail : les esprits même les
plus distingués, si on en excepte saint Anselme et saint
Bernard, n'étaient guère capables de s'élever à une pareille
hauteur.
D'ailleurs, à cette époque du moyen âge, on ne cherche
guère, en général, à innover dans aucun genre de littérature.
Ainsi, on fait beaucoup de poésies (et même beaucoup trop)
mais la plupart ne sont que des pastiches de l'antiquité grecque
ou latine : après bien des efforts, les prétendus poètes n'arri-
vent le plus souvent qu'à parodier ou à défigurer les œuvres
sublimes d'Homère ou de Virgile (1).
On composait aussi des pièces de théâtre, mais on ne faisait
que reproduire servilement ou quelquefois combiner ensemble
les deux grands comiques latins : Plante et Térence (2). On
faisait même des arts poétiques pour enseigner la manière de
composer ces étranges vers, mais ici encore, on n'a que des
pastiches, des imitations serviles (3).
La plupart des auteurs cherchent avant tout à beaucoup
savoir, à beaucoup connaître plutôt qu'à créer eux-mêmes et
à produire quelque chose de nouveau : il semble que personne
n'ait l'idée d'un travail personnel, original; il y a bien quel-
ques chercheurs en philosophie et en théologie comme Ros-
celin, saint Anselme et plus tard Abélard; mais, en général,
on préfère copier, commenter surtout, soit les premiers Pères
de l'Eglise, soit même les auteurs profanes. Voilà pourquoi,
il est si difficile de bien démêler dans ces auteurs ce qui leur
est propre de ce qu'ils ont emprunté à leurs devanciers.
Enfin, une remarque qui s'applique surtout aux recueils
(1) Voir lo Potlme iV Adcdberon sur les Normands. — La Philippide
de Guillaume le Breton. C. Gidel, Thèse lat. Sorb., 1856.
(2) Œuvres de Guillaume de Chartres.
(3) Ars •versificatoria de Mathieu de Vendôme, L. Bourgain. Thèse
lat. Sorb., 1879, in-8°.
— 83 —
dont nous parlons, et qui doit rendre la critique moins sévère,
c'est qu'au moyen âge, on n'écrivait pas pour faire un livre
ou un traité, on écrivait par nécessité, par besoin, pour
répondre à un adversaire, pour le réfuter, le ramener à l'or-
thodoxie, ou pour venger la foi ou la morale menacée (1). Les
auteurs ne cherchaient donc pas à se faire un nom, un répu-
tation d'écrivain; ils envisageaient avant tout l'utilité des prê-
tres, des fidèles, ce sont eux-mêmes qui nous le disent (2).
Yves de Chartres surtout s'en explique franchement dans
son Prologue : « J'ai cherché, dit-il, et j'ai rassemblé tous les
« extraits des canons et des règles ecclésiastiques en un seul
« livre, afin que ceux qui ne peuvent se procurer tous les
« ouvrages dont je les ai tirés, puissent néanmoins trouver et
« avoir sous la main ce qui fait l'objet de leurs recherches ».
Aussi, est-ce à ce but d'utiUté pratique et non à l'incapa-
cité de l'auteur qu'il faut attribuer ce singulier mélange de
dogme et de morale, de discipline et de prescriptions cérémo-
nielles, de décisions de conciles et de décrets pontificaux,
de lois romaines et de lois chrétiennes dont est rempli chacun
des recueils dont nous avons à apprécier ici la méthode et la
composition. Ils forment, en effet, chacun comme une ency-
clopédie générale de tout ce qui a été fait ou écrit dans
l'Église, depuis les premiers siècles chrétiens jusqu'à celui où
a vécu leur auteur. Il y a de tout dans ces compilations, c'est
comme un résumé de la science universelle du temps : textes
nombreux de l'Ecriture-Sainte, extraits variés des SS. Pères,
énoncés de dogme, préceptes de morale, décisions pratiques
de casuistique, lois ecclésiastiques, lois civiles et sociales des
siècles antérieurs, lois romaines, etc.; rien de ce qui peut
guider le clerc, le moine et le laïque n'y est oublié : c'est un
manuel, un enchiridion qui peut servir pour les cas les plus
divers et les circonstances les plus variées.
(1) Voir Traité de l'Eucharistie de Lanfranc, contre l'hérésie de Bé-
renger.
(2) Yoir la Préface d'Hainion de Bazoches, celle de l'auteur de la
Panormie en dix livres, le Prologue d'Yves.
5
— 84 —
De là, il est facile de deviner que l'ordre et la méthode, au
milieu de cette diversité, ont dû subir quelque atteinte : l'au-
teur, évidemment, a dû être gêné par l'abondance de matières
si diverses et parfois si disparates. Il était souvent difficile de
savoir précisément sous quel titre et sous quelle rubrique il
fallait placer tel ou tel canon d'un concile, telle ou telle
lettre d'un pape, telle ou telle loi romaine, etc.
Pour la collection Tripartita^ la composition offrait moins
de difficultés, et la méthode était plus facilement applicable,
du moins pour les deux premières parties. 11 suffisait d'insérer
dans leur ordre chronologique les décrétales des Pontifes
romains et les décisions des différents conciles : c'était une
espèce de livre d'enregistrement où les indications chronolo-
giques servaient de guide et de méthode. La troisième partie
n'était pas aussi facile ; mais nous avons vu que le rédacteur
de la Tripartita n'avait guère fait que copier la collection de
Burchard de Worms (1).
Ce n'est donc point par cet ouvrage (qu'Yves en soit ou non
l'auteur) que nous pouvons apprécier la méthode et la marche
qui présidaient à la composition de ces recueils du onzième
siècle. Le mieux pour nous est de nous reporter aux collec-
tions antérieures, de les comparer aux nôtres et de voir s'il y
a un progrès appréciable. C'est, il nous semble, la meilleure
manière déjuger un auteur; et c'est le grand tort, disons-le
en passant, de certains critiques en matière littéraire ou his-
torique, d'apprécier les hommes et les choses d'après un idéal
que le temps et le progrès du goût leur ont fourni, et non
d'après le temps et les circonstances où ont vécu leiu's au-
teurs.
Disons d'abord que ni l'Évêque de Chartres, ni l'auteur du
Décret^ quel qu'il soit, ni même Gratien dont l'autorité et la
réputation sont incontestables, n'ont travaillé sur des docu-
ments originaux. C'est le sort de tous les auteurs, soit an-
ciens, soit modernes, qui entreprennent de pareils travaux :
(1) Voir plus haut, chap. ni.
— 85 -
ils ne peuvent guère avoir que le seul mérite d'y mettre de
l'ordre et une certaine disposition.
Aussi les voyons-nous tous indistinctement, Gratien lui-
même, mettre à contribution de fausses citations, des textes
fabriqués, s'appuyer sur les fausses comme sur les vraies
décrétales des papes et citer avec autant d'assurance l'œuvre
du pseudo-Isidore que les véritables lettres des Pontifes
romains (1). Disons à leur décharge, qu'il leur était bien
permis d'ignorer ce que la critique moderne n^a découvert que
plusieurs siècles après eux.
Nous n'avons donc qu'une seule chose à chercher : voir
s'ils ont mieux fait que leurs prédécesseurs, c'est-à-dire donner
une idée du mérite relatif de ces sortes d'ouvrages.
Les auteurs de ces collections du onzième siècle, on a pu
le constater dans le courant de notre travail, copient tous,
plus ou moins, l'ancienne collection isidorienne, sur l'authen-
ticité de laquelle, personne ne songeait à élever le moindre
doute. C'est à elle que beaucoup d'écrivains, dans la suite,
ont emprunté l'idée de leur livre, mais c'est surtout dans les
matériaux qu'ils y trouvaient accumulés, qu'ils ont puisé à
pleines mains.
Néanmoins, tout en mettant à profit cette mine précieuse,
ils essaient de faire mieux qu'Isidore. Ainsi, déjà dès le
neuvième siècle, l'auteur de la collection dédiée à Anselme
s'empare de cette forêt de textes et de documents, et les place
sous des titres et des rubriques séparés, selon l'idée qu'ils
expriment : aux Décrétales des papes, il ajoute les textes des
saints Pères, et donne ainsi un corps de doctrine complet.
Burchard de Worms l'imite et la copie en partie, et c'est à
cette collection et à sa division, d'après l'ordre des matières,
que l'Évêque de Worms dut le succès de son œuvre.
Yves de Gharti'es, qui vient moins de cinquante ans après,
(1) D. Gellé a pris la peine de relever les fausses indications con-
tenues dans le Décret : elles y fourmillent, on peut les compter par
centaines. Bibl. nation., mss. 12318, nouv. fonds lat.
— 8b —
ne peut pas dédaigner l'œuvie de Burchard ; aussi s'empresse-
t-il de la mettre à profit dans l'ouvrage qu'il entreprend. Mais
l'auteur de la Panormie, il faut le reconnaître, y fait preuve
de plus d'ordre et de méthode : les matières y sont mieux
divisées et placées dans un ordre plus naturel et plus logique;
les grandes divisions, en livres ou parties sont, à leur tour,
partagées en assez nombreuses subdivisions, qui rendent la
lecture de l'ouvrage moins pénible et permettent d'y trouver
plus facilement la solution des questions que l'on cherche.
L'Évêque de Chartres a encore sur ses devanciers un autre
avantage qu'il doit, il est vrai, au temps où il a vécu, mais qui
n'en est pas moins incontestable, c'est d'être plus complet; et
dans des recueils comme ceux dont il est ici question, c'est un
mérite appréciable. Ecrivant au temps même où l'hérésie de
Bérenger venait d'être battue par la plume du docte Lanfranc,
et écrasée par les foudres de l'Eglise, Yves de Chartres a pu
mettre à profit les discussions des différents conciles et les
lettres des Papes qui ont trait à cette hérésie, et être beau-
coup plus complet que ses prédécesseurs sur le sacrement de
l'Eucharistie. Bien des textes des premiers Pères de l'Église
qui jusques-là étaient restés dans l'oubli furent naturellement
exhumés de leur poussière et mis en pleine lumière ; en un
mot , la question fut complètement renouvelée , et vu son
importance , elle fournit à notre évêque une matière plus
abondante. Puis , ces discussions prolongées pendant des
années soulevaient bien d'autres questions dont Yves de
Chartres fait figurer les solutions dans les divers chapitres de
sa Panonnie.
Enfin, le grand mérite d'Yves de Chartres c'est d'avoir
donné de nombreux extraits des lois romaines, d'avoir intro-
duit dans son ouvrage de fréquentes citations des Pandectes,
du code, des Institutions et Novelles de Justinien, dont il n'est
pas du tout question avant lui. Cette innovation trouve encore
son explication en partie dans le temps où vivait l'auteur de
la Panorniie : Ce qui toutefois ne lui enlève pas son mérite.
Plus on s'éloignait de la grande époque de Charlemagne,
— 87 —
qui avait imposé partout l'observation deses(lapitulaires, plus
on revenait aux anciennes lois romaines qui avaient laissé
dans les Gaules des traces profondes. D'ailleurs, le goût et
l'étude du droit civil se ranimaient dans les écoles (1); l'en-
seignement de Lanfranc qui de Bologne où il professait avec
distinction, s'était fait moine à l'école du Bec a dû également
entrer pour quelque chose dans ce mouvement ; et nous avons
expliqué comment Yves de Chartres, son élève, dans la cé-
lèbre abbaye, avait dû profiter de ses doctes leçons. Il n'est
donc pas étonnant qu'en raison de ces circonstances, nous
voyions figurer dans son ouvrage d'aussi nombreux extraits
des lois romaines.
Néanmoins, malgré ces avantages qui méritent certaine-
ment d'être appréciés, Yves de Chartres, disons-le franche-
ment, ne sort pas encore de la catégorie des compilateurs : il
fait suite à cette longue série d'hommes pratiques qui ont
cherché avant tout, à être utiles à leurs contemporains sans
viser au titre de penseur et d'écrivain. Ils s'emparent des tra-
vaux de leurs prédécesseurs , ils y mettent un peu plus
d'ordre et de netteté, y ajoutent ce qu'ils ont appris de nou-
veau sur la matière, mais nul d'entre eux ne se donne la peine
d'examiner si les textes qu'il copie sont authentiques, si les
citations qu'il trouve sont vraies ou fausses, tirées de leurs
auteurs ou fabriquées après coup (2), c'est le moindre de
leurs soucis ; le moyen âge est le temps par excellence de la
confiance illimitée.
Gratien dont l'œuvre plus considérable et plus sérieuse
s'impose à l'étude et à l'histoire du droit canon n'a pas su non
plus éviter cette faute ; mais il la rachète par des qualités
incontestables de savant et d'écrivain qui ont manqué à ses
prédécesseurs. Le brillant professeur de l'Université de Bo-
logne n'est plus seulement un compilateur comme Burchard
(1) Histoire littéraire, t. Wl, p. 150-152.
(2) Voir le curieux travail de correction, par D. Gellé, cilé plus
haut p. 85 (note 1).
— 88 —
ou Yves de Chartres, c'est un écrivain dans toute la réalité
du mot, c'est un argumentateur : on sent que la nouvelle
scholastique qui vient à peine de naître (1150) a déjà fait im-
pression dans son esprit. Il ne se contente pas, comme ses
devanciers, d'affirmer, d'apporter des textes, il les discute, il
les commente. Ses prédécesseurs faisaient simplement des
préfaces, annonçant ce qu'ils allaient exposer, mais ne discu-
tant jamais sur l'origine, la valeur et l'autorité des documents
qu'ils inséraient dans leurs ouvrages. Gratien lui fait des dis-
sertations (1), il reprend pour son compte les questions con-
troversées avant lui, il discute, et ses gloses sont toujours en
rapport avec les décrets ou les canons qu'il cite ; il formule
des principes généraux et il en fait scientifiquement la
preuve : ce sont comme les pièces justificatives de son Décret.
En un mot, Gratien est à la fois un écrivain et un savant. Il a
trouvé comme ses devanciers, de nombreux canons de con-
ciles, de nombreuses décisions des papes, il a voulu à leur
exemple, en faire un code unique ; mais en penseur et en vrai
savant il a su ramener tous ces textes à l'unité « Ut auctori-
tatum discordantia ad concordiam revocetur, » comme il
le dit lui-même (2).
Ce serait un tort, selon nous, de chercher une telle perfec-
tion dans Yves de Chartres : notre auteur n'en a pas même eu
l'idée ; ne lui en faisons pas un crime, tenons-lui compte de
la supériorité relative dont il a fait preuve à Tégard de ceux
qui l'ont précédé dans cette voie; il a fait mieux qu'eux, il est
en progrès, ne lui en demandons pas davantage.
Bien que, d'après notre sentiment, le Décret ne soit pas
l'œuvre d'Yves de Chartres, néanmoins comme il occupe une
large place dans notre thèse, et comme il est connu dans le
public depuis plusieurs siècles, nous ne pouvons pns nous
dispenser de parler ici de la composition de cet ouvrage. Et
(1) C'est ce qu'on désigne dans son Recueil par ces mots : Dicta
Gratiani.
(2) Voila pourquoi, Gratien avait intitulé son ouvrage ; Concor-
dantia discordanlium canonum.
— 89 —
nous le faisons d'autant plus volontiers, que le défaut de
méthode et de composition de ce recueil, est aux yeux du
savant Theiner un argument décisif contre l'authenticité qu'on
lui a accordée jusqu'ici : conclusion exagérée, selon nous,
mais qui ne manque pas pourtant d'un certain fondement.
En effet, loin de présenter dans son ensemble cette clarté
et cette netteté que nous rencontrons dans la Panormie^ le
Décret semble revenir à la confusion et à l'amoncellement de
matériaux qui distinguent les collections antérieures. Les
grandes divisions, il est vrai, sont plus nombreuses que dans
la Panormie (dix-sept parties au lieu de huit) ; mais les
textes placés sous chacune d'elles sont aussi beaucoup plus
nombreux : il y a certaines parties qui contiennent jusqu'à
trois cent soixante dix-huit et même quatre cent trente-cinq
chapitres. On comprend, a priori^ qu'il soit difficile d'établir
un ordre parfait dans une pareille nomenclature de docu-
ments : le lecteur se retrouve bien plus difficilement dans le
Décret que dans la Panormie^ il se voit souvent forcé de se
demander ce que prouve tel ou tel document, à quel sujet il
se rapporte. Aussi, le savant allemand trouve-t-il que l'au-
teur du Décret a manqué complètement d'adresse et d'ha-
bileté dans la rédaction de son ouvrage, qu'il a largement
usé des documents fournis par ses prédécesseurs, mais qu'il
les a copiés d'une manière maladroite « auf eine geistlose
Weise (1) )), qu'il a accumulé sans discernement dans son
recueil tout ce qu'il a trouvé dans ceux de ses devanciers et
qu'au lieu d'un ouvrage clair et méthodique, il est arrivé à
ne produire <c qu'une masse inordonnée, indigeste de textes
et de documents (2). »
Les passages empruntés à Burchard, continue le même
critique, tant par l'auteur de la Tripartita que par Yves de
Chartres dans sa Paiiormiei mais quelque peu changés par
par eux, le compilateur du Décret qui ne remarque pas ces
(1) Theiner, Ueher Yvo's, p. 44.
(2) Eine pîanlose und platte Fusion. Ibid.
— 90 ~
changements, les insère intégralement dans son recueil, tel
qu'il les trouve dans les deux ouvrages. « On ne peut se
a faire une idée, ajoute-t-il, de la confusion qui règne dans
« cet ouvrage, tant les matériaux y sont mal placés, mal
« digérés, sans choix et sans aucun soin : tout ce qu'il
(( trouve de documents dans ses prédécesseurs, il les copie
« de telle sorte que pour ne pas interrompre la série dans
(( laquelle se trouvent ces documents, il les reproduit deux
« et même trois fois dans son ouvrage, selon qu'il les ren-
« contre dans les deux ou trois recueils qu'il a entre les
« mains (1). »
Aussi, tire-t-il de cette absence d'ordre et de méthode la
conclusion qu'Yves de Chartres ne peut-être l'auteur d'une
pareille compilation : a Nous ne pouvons croire, dit-il, qu'un
« homme d'un esprit aussi élevé et d'une si grande érudition
« qui avait mis à profit, avec tant d'habileté et de perspica-
ce cité, les œuvres de Burchard, d'Anselme, de Lucques et
« la Tripartita^ et avait produit une œuvre si claire et si
<( méthodique, ait détruit cette œuvre en pillant maladroite-
ce ment et ses prédécesseurs et lui-même pour arriver à pro-
« duire un ouvrage où manque tant d'ordre et où les maté-
(( riaux sont à peine élaborés (2) . »
Ces observations sont fondées et viennent à l'appui de
notre thèse : à savoir que le Décret est l'œuvre d'un compi-
lateur et non d'Yves de Chartres lui-même.
Mais c'est ici qu'il faut nous rappeler ce que nous avons dit
au commencement de ce chapitre : que ces recueils ne sont
pas des œuvres littéraires, mais avant tout, des manuels
pratiques, commodes pour le lecteur. En outre, il est difficile
d'apprécier aujourd'hui, d'une façon tout à fait impartiale,
(1) Theiner (p. 44, note 18), cite plus de cent endroits où les
mêmes passages sont deux et trois fois reproduits; et il va même
jusqu'à dire, dans sa brutale franchise : « Qu'il serait impossible
« de nettoyer cette écurie d'Augias. « Esivœre unmœglich diesen Au-
giasstall zu sœubern. » (Voir note 18 ad fin.)
(2) « Ein so innerlich zusammenhwngendes, und nach einem durchge-
« henden Plan gearbeiietes Werk. » Ibd,, p. 45.
— 91 —
des œuvres qui sont si loin de nous, dans un temps où les
règles de composition étaient loin d'être parfaitement con-
nues et où nul auteur ne cherchait à faire aucune œuvre d'art.
Les rédacteurs de ces recueils tenaient à être les plus com-
plets possibles sur chaque sujet ; et pour cela, ils accumulaient
le plus possible de textes et de citations pour donner à leurs
décisions la plus grande autorité : ce qui les empêchait sou-
vent de faire un choix sévère de textes et d'éviter les répéti-
tions. Souvent, si l'auteur du Décret cite deux ou trois fois les
mêmes passages, c'est qu'ils conviennent à plusieurs titres à
la fois; et pour éviter les recherches au lecteur il les reproduit
à chaque titre. Néanmoins, on s'explique très bien avec
Theiner qu'il soit difficile d'établir de l'ordre et de la clarté
dans des parties qui contiennent plus de quatre cents chapi-
pitres, où sont accoUés les uns aux autres, sans aucune divi-
sion, et les canons des conciles et les extraits des Saints
Pères, et les Lettres des Papes et les lois romaines, sans qu'on
sache précisément à quel point de la question se rapportent
ces documents ; on comprend que le savant allemand n'ait vu
dans tout cela « qu'une masse inordonnée et indigeste. »
Cependant, nous devons dire en terminant qu'il y a exa-
gération et parti pris de la part de Theiner; il veut avant tout
prouver sa thèse : qu'Yves de Chartres n'a point rédigé le
Décret. Malgré cela, ses assertions demeurent, et tout en
faisant la part de son jugement quelque peu intéressé, il
nous faut conclure avec lui que le Décret., sous le rapport de
la composition et de la méthode est inférieur à la Panormie.,
qu'il suppose un auteur moins habile et moins intelligent que
notre Évêque de Chartres; et par conséquent, qu'il faut
laisser la paternité de cet ouvrage à quelque compilateur qui,
possédant entre ses mains et la collection Tripartita et la
Panormie et les autres collections antérieures, aura cru
donner une œuvre plus complète et plus parfaite en accu-
mulant ainsi à la suite, et sous certaines rubriques les docu-
ments nombreux contenus dans ces ouvrages.
CHAPITRE VI
DOCTRINES
Évidemment, nous n'avons pas la prétention d'exposer ici
la doctrine complète des Recueils dont nous venons de dis-
cuter l'origine et l'authenticité.
Cet exposé, on le devine, exigerait un travail considérable
et suffirait à former une œuvre à part qui ne manquerait cer-
tainement pas d'intérêt; mais ce n'est point ici le lieu de
l'entreprendre.
Nous nous contenterons donc de choisir quelques-unes des
questions les plus importantes au point de vue doctrinal et
disciplinaire; et nous essayerons d'indiquer la solution qui
leur est donnée dans nos Recueils du onzième siècle.
Disons d'abord, qu'en raison même de la nature et de la
composition de ces sortes d'ouvrages, il ne faut pas s'attendre
à y trouver toujours une doctrine claire, précise et nettement
formulée. On rencontre souvent dans un même livre, dans
une même partie, des témoignages et des citations qui offrent
quelque contradiction ou, du moins, qui semblent dictés par
un esprit diff'érent : ce qui, d'ailleurs, s'explique facilement.
Nous l'avons établi déjà : l'auteur de ces Recueils ne fait
pas une œuvre strictement personnelle. La plupart du temps,
il ne fait que rapporter à chaque sujet, ranger sous une même
rubrique les canons et les décisions qu'il rencontre dans
l'histoire et la législation de l'Église pendant une période de
— 93 —
neuf à dix siècles. Il n'est pas étonnant alors que l'ensemble
de tous ces témoignages ne présente pas une concordance
parfaite, un tout complet : on s'explique très bien, par
exemple, qu'un concile du cinquième ou sixième siècle ne
prenne pas, vis-à-vis des hérétiques, les mêmes moyens qu'un
pape du temps des croisades (1). Dès lors qu'il ne s'agit pas
des dogmes fondamentaux de la Religion, on comprend que
la législation ecclésiastique ait pu varier quelque peu avec les
siècles et les différentes phases de la civilisation.
La lecture et l'étude de ces Recueils ne peuvent donc nous
faire connaître qu'une chose : quelle a été, depuis les pre-
miers siècles chrétiens jusqu'au onzième, la pensée et la con-
duite pratique de l'Église sur différents points de doctrine et
de morale, et cela, à l'aide de textes et de citations emprun-
tés à toutes les époques.
Ces Recueils sont donc, pour le lecteur, comme des témoins
vivants de la tradition catholique. Mais, nous le répétons, il
ne faut pas y chercher un exposé formel, ni un résumé exact
et complet de la législation alors en vigueur, comme on en
trouve dans nos ouvrages de droit et de législation modernes.
Ce qui distingue chacun de ces recueils et peut nous
donner quelques indications sur la doctrine personnelle de
l'auteur, ce sont uniquement les titres qui se trouvent en tête
de chaque chapitre. Le choix et l'énoncé de ces titres ou ru-
briques sont les seuls indices qui puissant nous faire con-
naître ou nous faire deviner le véritable sentiment de l'au-
teur (2). Souvent on ne peut le tirer que par voie de
(1) Voir, dans M. Ampère (ouvrage cité p. 383), la contradiction
qu'il relève entre l'opinion de saint Augustin, au sujet de la con-
version des païens, et la lettre plus libérale d'un Pape, sur le même
point.
(2) C'est ainsi que Bossuet, au sujet de la suprématie pontificale,
établit une différence entre l'opinion d'Yves de Chartres et celle de
Gratien, qui tous les deux cependant reproduisent le même texte,
(La lettre de Grégoire VII à Herimann évèque de Metz), mais lui
donnent un titre différent. Voir Defens. Cleri Gallic. Pars I, lib. III,
cap. xiY.
— 'J.4 —
conclusion : d'après l'ensemble des textes cités dans le livre
ou la partie qui traite de la question .
L'auteur ne cherche presque jamais à étabUr par lui-même
sa propre doctrine, ni à appuyer par des raisons personnelles
son opinion propre. Il se contente d'apporter des textes et des
décisions antérieurs; mais lui, ne discute pas. C'est un
témoin qui affirme ce qu'il sait, ce qu'il a appris des déposi-
tions des autres, mais qui ne formule jamais, ou presque
jamais sa propre pensée.
Voilà pourquoi M. Ampère dit du Décret attribué à Yves
de Chartres, « qu'il est un curieux monument du génie et de
(( l'état de l'Église. »
C'est en ce sens qu'il faut consulter ces sortes d'ouvrages
et les interroger. C'est ce que nous allons faire, pour quelques
points en particulier.
Commençons par la hiérarchie ecclésiasticjue.
Qu'en dit l'évêque de Chartres, ou plutôt quelle idée nous
en donnent le Décret et la Panormie?
Ils consacrent l'un et l'autre un livre tout entier à cette
question ; et le titre de ce livre est absolument le même dans
les deux ouvrages : De primatu Romande Ecclesiee et de jura
mefropolitanorum atqiie episcoporum (1).
Est-il besoin d'établir qu'ils reconnaissent clairement la
suprématie du Pontife romain sur le reste de l'Église? Il suffit
de parcourir les textes nombreux renfermés dans chacun de
ces livres.
« L'Église romaine, dit la Panormie, ne tient pas sapuis-
(( santé des apôtres, mais du Sauveur lui-même; et elle
« ajoute : Siciii cardine ostiwn regitw\ ità hiijus sanctœ
« Sedis auctoritate omnes ecclesiœ regnntur (2) . »
— « L'évêque de Piome, dit l'auteur du Décret, est le pre-
(( mier des évêques, le siège de Rome est, par la grâce divine.
(1) Panormie, lib. IV. — Décret. Pars V.
("2) Panormie, lib. IV, c. ii, cf. c. i, m iv. -+- Drcret. Pars V, c. xr,,
XLII, Xl.IV, XLM.
— m —
« le premier siège du monde : Prima sedes est cœlesti bene-
(( ficio Romana Ecclesia (1). »
On doit respecter partout ses décrets et ses décisions (2) ;
ses jugements ne doivent être réformés par personne : « Ne-
(( minem sedis apostolicse judicia judicare aut illiiis senten-
« tiam retractare permissum est (3) . » Il est dit dans un
chapitre du Décret^ que (( nul n'a le droit de reprendre le
« Pontife romain, même quand il pèche graviter : Hujus cul-
(.(. pas istic redarguere présumât inortalium nullus \Jx)-
Nul évêque n'a le droit d'agir contre les décrets des pontifes
romains (5). Il est vrai qu'à côté de ce texte nous en trouvons
un autre qui « interdit au siège apostolique d'innover en rien
« et d'agir contre les saints canons : fsUiil de traditione dimi-
« niiere, vel mutare aut aliquam uonitatem admittere (6). »
C'est au Pontife romain qu'il faut en appeler dans les
causes majeures ou dans les cas douteux (7). Il y est encore dit
que les jugements des évêques doivent être confirmés par
l'autorité apostolique (8).
Ainsi, la suprématie pontificale se trouve parfaitement éta-
blie dans nos deux recueils ; et nous savons par les lettres
d'Yves de Chartres qu'il était, en principe, le défenseur zélé
de cette même autorité (9). Ce qui ne l'empêcha pas de lutter
assez souvent, dans la pratique, contre les détenteurs médiats
(1) Décret. Pars Y, c. ii, cf 1 + Pars lY, c. ci. — Panormie, lib. IV,
C. IV.
(2) Décret. Pars I, c. cxxxv. + Pars lY. c. ccxi, ccxxxvni. +
Pars V, c. xin, xv, xlv, ccclxxxyiii.
(3) Panormie, lib. lY, c. x. cf. c. v, vi, yii, yiii, ix, xi. — Décret.
Pars V, c. xxiii, xxxr, xxxii.
(4) Décret, Pars Y, c. xxiii. On y trouve néanmoins cette restriction :
« nisi deprehendatur a fide devins. » Ibid.
(5) Panormie, lib. III, c. m. — Décret. Pars Y, c. viii, xxxvn,
CCCXLIX.
(6) Panormie, lib. III, c. iv.
(7) Décret. Pars Y, c. m, iv, xxx, cclxxxxiv.
(8) Ibid. Pars Y, c. xxix.
(9) Des écrivains du dix-huitième siècle l'accusent « d'être l'âme
damnée du Saint-Siège. » Yoir l'abbé de Camps dans ses cartulaires.
(Biblioth. nat.), et l'historien Dreux de Radier.
— 96 -~
ou immédiats de cette suprématie dont il admettait le prin-
cipe (1).
Mais, si nos Recueils proclament la suprématie du Pontife
romain, ils ne sacrifient pas les droits des évêques ni des
métropolitains.
Les évêques sont les successeurs des apôtres (2), les thrônes
de Dieu (3) ; ils ne doivent être jugés que par leurs compro-
vinciaux et non par le seul métropolitain (A).
Le métropolitain a seul le droit de ratifier l'élection d'un
évêque de sa province et de lui conférer l'ordination épisco-
pale (5) ; les églises suffragantes doivent suivre les coutumes
et les rites de l'église Métropolitaine (6). Nul évêque ne
peut disposerdes biens de son Eglise sans le consentement du
métropolitain (7). C'est à lui que les prêtres doivent en ap-
peler du jugement de leur évêque (8) .
On voit que dans ces temps, les droits et l'autorité des
métropolitains étaient considérables. C'était à eux qu'il appar-
tenait de convoquer et de présider ces conciles provinciaux
dont les décisions faisaient loi, même au delà des limites de
la province (9).
Nos recueils s'occupent également des prêtres et des simples
clercs. Ils ne doivent jamais être condamnés sans avoir été
entendus canoniquement (10); ils ont le droit d'appel à leur
métropolitain.
Ces auteurs traitent aussi du diaconat, du sous-diaconat (11)
(1) Voir sa lutte avec le légat Hugues de Lyon et quelques-unes
de ses lettres au pape Pascal II.
(2) Décret. Pars V, c. lxyiii, lxxxxvui.
(3) Jbid. Pars XVI, c. cclxxxxvi.
(4) Ibid. Pars V, c. lxxxxix, ci, clxxiv. — Panormie, lib. IV, c. xxv.
(5) Panormie, lib. HT, c. x.
(6) Décret. Pars III, c^ lxviii.
(7) Décret. Pars III, c. cliii.
(8) Ibid. Pars III. c. cxxxvii.
(9) Ibid. Pars V, c. clyiii.
(10) Ibid. Pars XIV, c xli, xlii. — Panormie, lib. V, c. cxxiv.
(11) On' voit que la législation sur le mariage des sous-diacres n'é-
tait pas encore nettement établie. Le pape Nicolas !«' reproche à
— 97 —
et des Ordres mineurs (1) et ils entrent dans le détail de
chaque ordination.
Ainsi, l'on voit que la hiérarchie ecclésiastique était par-
faitement constituée, et les droits de chacun clairement
établis par la législation canonique du temps.
Parmi les questions qui agitèrent le plus le onzième siècle,
il faut certainement mettre en première ligne celle des Rap-
ports entre l'Église et l'État : entre le pouvoir spirituel et le
pouvoir temporel. On peut même dire que c'est là la grande
question de l'époque; que l'histoire de cette lutte entre l'em-
pire et la papauté absorbe tout le reste.
Il est donc intéressant de voir comment les auteurs du
temps envisagent ces rapports et de chercher à nous rendre
compte de leur doctrine sur cette question.
N'oublions pas que le pape Grégoire VII venait de mourir.
Grâce à son énergique volonté et à son puissant génie, il était
parvenu à faire pénétrer dans le monde ses doctrines sur la
supériorité du pouvoir spirituel ; aussi, ne faut-il pas nous
étonner de voir reproduire les théories si chères à ce grand
pape, dans des recueils composés dans le siècle même où il
mourut.
La Panormie ne contenant qu'un seul passage sur cette
matière : la lettre de Grégoire VII à Hérimann, dont nous
allonsparler plus bas, c'est le Décret (]vl'û nous faut examiner.
L'auteur commence par citer l'antique doctrine, émise dès
le temps des premiers empereurs chrétiens, et qui devint plus
tard comme la formule de l'union entre l'Église et l'État, à
savoir : Que les rois et les empereurs ont besoin des Pontifes
dans les choses de l'ordre spirituel, comme ceux-ci ont besoin
des princes pour les choses de l'ordre matériel (2).
l'archevêque de Vienne d'avoir permis à un sous-diacre de se ma-
rier; mais il ne déclare pas le mariage nul. (Voir Décret. Pars VI,
c. cxix.
(1) Décret. Pars VI, c. iv à c. xx. — Panormie, lib. III, c. xxviii
à c. XL.
(2) Décret. Pars IV, c. clxxxviii.
— 98 —
Mais les empereurs ne peuvent toucher aux droits de
l'Eglise : Imperiali jiidicio non possunt ecclesiastica jura
dissolvi (1) ; il ne leur est pas permis de rien faire contre les
lois divines : Non licet imperatori aliquid contra mandata
divina prœsiimere (2). Car « les lois des empereurs ne sont
« pas au-dessus de la loi divine mais au-dessous (3). » —
(' Il ne faut pas que ceux qui sont supérieurs en dignité, ou
(( en raison de leur caractère soient soumis à la discussion de
« leurs inférieurs ijx). »
Il est difficile, on le voit, d'affirmer plus clairement la
supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel.
Enfin, au dernier chapitre de cette cinquième partie dont nous
avons tiré la plupart de nos textes, l'auteur du Décret place
la lettre de Grégoire VII à Herinam, où la même doctrine est
exprimée avec plus de vigueur encore, en passant par la plume
du fier pontife (5). « Peut-on douter, dit-il, que les prêtres du
« Christ ne soient les pères et les maîtres des rois et des
« princes aussi bien que de tous les autres fidèles ? Ne serait-
« ce pas une déplorable folie de vouloir placer le père sous la
(( domination du fils, le maître sous celle du disciple? Or
« n'est-ce pas là la conduite d'un prince qui veut soumettre à
(( son injuste tyrannie celui qu'il sait avoir le pouvoir de lier
(( et de délier non seulement sur la terre, mais même dans les
« cieux ? » Puis, il rappelle la conduite de Constantin « qui,
« au Concile de Nicée, voulut siéger, non au premier rang,
(( mais au dernier » ; il cite ensuite la théorie du pape Gélase
sur les deux pouvoirs; enfin, rappelant la lutte de saint
Ambioise contre Théodose, il emprunte à l'Evêque de Milan
sa célèbre comparaison : « Si reguin fiilgori compares et
(1) Décret. Pars Y, c. clxxxvii.
(2) Ihid. Pars V, c. ccxxxi, cf. Pars V, c. ccxxxv.
(.3) Ibid. Pars XVI, c. xi. a Lex imper atorum non est supra legem
Dei, sed subtus. » — Cf. Pars XVI, cap. ix, x.
(\) Ibid. Pars V, c. viii.
(5) Décret. Pars V, c. ccclxxviii. — Panormie, lib. V, c. cviii et
cix.
— 99 —
« principum diademati, longe erit infcrius^ quam siplumbi
« metallum ad auri fulgorem compares. »
Cette lettre se trouve reproduite absolument mot pour mot
dans les deux recueils, mais avec un titre, ou plutôt avec des
titres différents. Dans le Décret, elle ne forme qu'un chapitre,
et elle n'a qu'un seul titre, c'est celui que cite Bossuet dans sa
Défense : « Nullam dignitatem sœciUarem, sed nec imperia-
« /em, honori veldignitati episcopali posse adœquari. » Dans
la Panormie, la même lettre est divisée en deux parties, qui
portent chacune un titre spécial : le premier qui est tiré du
texte même de la lettre : « Regwn et principum. patres et
« magistri sacerdotes esse censentur. Le second qui est ainsi
conçu : « Auctoritate sacra pontificum et regali potestate
« hujiis mundi gubernacula reguntur (1). »
Telle est la doctrine contenue dans nos deux Recueils, sur
cette grave question des rapports entre les deux pouvoirs. Ici,
nous avons l'avantage de pouvoir faire connaître au lecteur
l'opinion personnelle de notre auteur ; elle est parfaitement
formulée dans la lettre qu'il adresse à Henri I", roi d'Angle-
terre. Qu'on nous permette d'en citer quelques extraits : « Il
« ne saurait y avoir de bonne administration, dit-il, sans la
« concorde entre la royauté et le sacerdoce rappelez-vous
« que le royaume terrestre qui vous est confié, doit être subor-
« donné au royaume céleste dont l'administration appartient
<( à l'Église. De même que le sens inférieur et animal doit se
« soumettre à la raison, ainsi la puissance terrestre doit être
(( soumise au gouvernement ecclésiastique. Un corps que
« l'âme ne vivifie plus est un cadavre; il en serait de même
<c du pouvoir terrestre s'il cessait d'être animé et régi par la
« discipline de l'Église. Le corps reste, en équilibre et con-
« serve sa vigueur quand la chair ne résiste pas à l'esprit;
(1) Bossuet ne parle pas de ce double titre de la Panormie. Il est
vrai que, de son temps, on no connaissait pas beaucoup la Panormie :
l'éditiou des œuvres d'Yves de Chartres, du P. Fronleau (1647), ne
contenait que les Lettres et le Drcret; il n'y était nullement question
de la Panormie.
G
— 100 —
« de même, les royaumes de ce monde sont en paix quand
« ils respectent le royaume de Dieu (1). »
Il nous semble qu'une pareille lettre n'a pas besoin d'expli-
cation ni de commentaires : elle exprime assez d'elle-même le
sentiment véritable de son auteur.
Nous avons dit, plus haut, que ces recueils de droit canon
du moyen âge contenaient à la fois la théologie et le droit
canon proprement dit; que les deux enseignements étaient
souvent mêlés et confondus : nous en avons une preuve évi-
dente dans le Décret et la Panonnie.
En effet, nos deux recueils nous donnent sur la Foi^ sur le
Baptême^ la Confirmation^ et surtout sur Xhucharistie et le
Mariage des traités assez complets pour le temps et dont nos
théologiens modernes ont pu tirer quelque profit (2).
Pour ce qui regarde Y Église^ ils ne traitent nullement du
point de vue dogmatique : ni de la divinité de son origine, ni
de son autorité. C'était chose acquise et tellement reconnue
de tous, qu'il ne venait à l'esprit de personne de soulever, sur
ces points, le moindre doute.
Les décrets et canons portent surtout sur ce qu'on pourrait
appeler la partie matérielle.
Ainsi on s'occupe beaucoup de l'établissement des églises
et des paroisses (3), de leurs privilèges, de leurs biens et
revenus, des dons et offrandes des fidèles, des offices qu'on
(1) « Res omnes non aliter bene administrantiir, nisi cum regnum et
« sacerdotium in unum convenerint studium , regnum terrenum cœlesti
« regno, quod Eccledae commissum est, subditum esse debere semper cogi-
« tetis, sicut enim sensus animalis subditus esse débet rationi, ita potestas
« terrena subdita esse débet ecclesiastico regimini. Et quantum valet cor-
« pus nisi regatur ab anima tnntum valet terrena potestas 7iisi informetur
« et regatur ecclesiastica disciplina. Et sicut pacatum est regnum corporis,
« cum jam non resistit caro spiritui, sic in pace possidetur regnum mundi
« cum jam resistere non molitur regno Dei. » [Ivon. Carnot. Epist. 106.)
(2) Décret. Pars I et II. — Panormie, lib. I.
(3) Il est défendu à un évèque de donner une paroisse à un monas-
tère, sans le consentement du Concile delà province. [Décret. Pars III,
C. GLXVin.)
-- 101 —
doit célébrer, des sépultures, du droit d'asile et de la condi-
tion des affranchis de l'Eglise (1) . Nos auteurs insistent beau-
coup sur ces deux derniers points et citent un grand nombre
de textes.
On reconnaît, dans ces diverses prescriptions, le côté émi-
nemment pratique de ces recueils que nous avons déjà signalé :
on voit qu'on ne faisait pas de science pour la science, mais
avant tout, pour l'utilité pratique des prêtres et des fidèles ;
c'était là l'idéal que poursuivaient les rédacteurs de ces sortes
d'ou\Tages.
C'est ce qui nous explique pourquoi entre toutes les ques-
tions, celle du Mariage est traitée, dans nos recueils, avec le
plus d'étendue.
C'est un point pratique auquel l'Eglise a toujours attaché
la plus grande importance, au moyen âge surtout, après les
invasions des barbares. Pour assurer l'ordre et la sécurité
dans la société, il fallait l'établir d'abord dans la famille et
surtout à l'origine de la famille. De là, les nombreuses pres-
criptions concernant le mariage que nous rencontrons dans
tous les ouvrages de droit canon de ces temps-là, et spéciale-
ment dans ceux qui font l'objet de ce travail.
Ainsi le Décret consacre à ces matières deux livres entiers,
qui comptent, l'un 334 chapitres et l'autre 129 (2). La Panor-
mie qui ordinairement est beaucoup moins abondante que le
Décret, contient également deux livres entiers sur le Ma-
riage (3).
Notre intention n'est pas de relever ici tous les points de
doctrine que nous avons constatés dans l'étude de ces cha-
pitres; nous nous contenterons d'en mentionner quelques-
uns.
Ainsi, nous trouvons parfaitement établie la doctrine ensei-
gnée, de nos jours, par l'EgUse, à savoir : que la validité du
(1) Décret. Pars III, de Ecclesia. — Panormie, lib. II de Ecclesia.
(2) Décret. Pars VIII et IX.
(3) Panormie, lib. VI et VII.
~ 10-2 —
mariage résulte du consentement et de la volonté des parties
contractantes (1).
Les empêchements dérimants : l'erreur de la personne, la
condition, la parenté, l'affinité, le rapt, etc. , y sont très lon-
guement exposés. L'arbre généalogique de la consanguinité,
décrit par saint Isidore, s'y trouve parfaitement repro-
duit (2).
Des textes nombreux, puisés à des sources bien diverses,
établissent invinciblement l'indissolubilité du mariage. On
admet, pour certains cas, la séparation; mais le vincidum
matrimonii demeure ; et l'épouse renvoyée ne peut épouser
un autre homme, du vivant do son mari (3).
Tl est également très souvent question, dans nos deux
Recueils, du mariage des esclaves et des personnes libres : on
voit que de nombreux cas se présentaient, dans ces temps du
moyen âge. On proclame la légitimité et l'indissolubilité de
ces mariages, à moins, toutefois, d'une erreur complète sur
l'état de la personne. Et encore, l'auteur ajoute-t-il : f( Si
« J'épouse est esclave, que son mari, s'il !e peut, la rachète et
(( la garde [h). »
Et notre auteur en donne ici une raison qui dénote un es-
prit droit et très libéral pour son temps : « N'avons-nous pas
(( tous, dit-il, libres et esclaves, riches et pauvres, un seul et
« même père qui est dans les cieux (5)? »
(1) Panormie, lib. "VI, c. cvii. Nous ne parlons pas de la condition
expresse imposée par le Concile de Trente : la présence du propre
curé.
(2) Décret. Pars IX.
(3) Ibid. Pars VIII, c. cgxxxv, passim. — Panormie, liJ). VU, c. i,
11, lY, V, vr.
(4) Ihid., lib. YI, c. xli, cf. c. cxi.
(5) Panormie, lib. YI, c. xxxviii, ci', c. xlii.
On fait souvent honneur aux hommes de nos temps modernes,
d'avoir prêché l'abolition de l'esclavage et proclamé l'égalité de tous
les hommes. Or, nous avons eu, plusieurs fois, l'occasion de ren-
contrer dans Yves de Chartres des passages où il proclame cette
grande vérité. Sans parler du texte que nous venons de citer, nous
trouvons dans une de ses lettres un passage bien affirrnatif : il s'agit
— 103 —
Nous terminons cet examen rapide par quelques mots sui-
V Homicide que nos deux Recueils traitent assez longuement.
Ils commencent par condamner hautement le suicide et par
proclamer le respect de la vie humaine (1). Mais, chose assez
curieuse et qui peint bien l'esprit et les mœurs du temps, les
homicides même des prêtres, des évêques, ne sont condamnés
qu'à une amende (2) et à une pénitence publique (3) . Quel-
quefois, il arrive qu'on les prive de la communion pendant le
reste de leur vie [h). Si l'homicide est prêtre, on le prive du
sacerdoce; s'il est évèque, on l'excommunie et on le dé-
pose (5) ; mais le châtiment ne va pas au delà. Même les par-
ricides et les fratricides ne sont pas traités plus sévèrement (6) .
. Enfin, nous trouvons cette singulière défense qui suppose
d'uu homme Ubre qui avait ôpousé une esclave sans connaître sa
condition, l'avait renvoyée et voulait en épouser une autre.
Yves de Chartres répond à l'évèque d'Orléans : « Si nous ne
« consultons que les décrets des Pères et les lois du siècle, le
« divorce est légitime. Mais si nous remontons jusqu'à l'institution
« divine et que nous consultions la loi de la nature, où il n'y a ni
« libre ni esclave, je ne puis pas me persuader facilement, qu'en
(( raison d'une condition que la nature n'a point faite, pour laquelle
« la loi divine n'a pas posé d'exception, une loi humaine postérieure
(( puisse venir briser les liens sacrés de l'union conjugale. » (Voir
Ivon Carnot. Epist. 221.)
Nous trouvons dans le Prologue de la Panormie, la mémo idée
reproduite avec la même précision. « En Dieu, dit Yves de Chartres,
« il n'y a pas acception de personnes; et la nature qui est également
« la mère de tous les hommes ne doit être critiquée par personne :
« natiira quœ omnium par est genitrix ab aliquo reprehendi non potest. »
(1) Décret Pars X, c. i, iv, v, -vi. — Panormie, lib. VIII, c. i.
(2) Pour le meurtre d'un sous-diacre, on payait 300 solidi ; pour
celui d'un diacre, 400; pour celui d'un prêtre, 600; pour celui d'uu
évêque, 900; pour celui d'un moine, 400. lyoïv Décret. Pars X, c. ix.)
Voici un autre canon qui explique ot confirme bien la pensée qui
présidait à cette législation : « Si quis hominem claudum aut luscum
« occiderit, qui eo anno integer et pretii magni fuerit, tantum damnatur
« quantum {is homo) in eo anno plurimi erit. » [Ibid. Pars X, c. l.)
(3) Décret. Pars X, c. ix, x, xi, xir, xiii, xviii. — Panormie,
lib. VIII, c. VI, vu, VIII, IX
(4) Décret. Pars X, c. xxxix.
(.5) Ibid. Pars X. c. lt, lîi. — Panormie, lih. III, c. CLiir.
|6) Décret, Pars X, c. clxiii à ci.xviii -h clxxviii, glxxix, cr.xxx.
— 104 —
qu'on attentait facilement alors à la vie humaine : « Non
a occidatiir hoyno^ nisi lege jubente (1). »
Il serait très intéressant, comme on le voit par ces quelques
extraits, d'étudier, à l'aide de ces recueils, cette législation
du moyen âge dont plusieurs prescriptions nous semblent
étranges.
Nous y verrions, nous y prendrions, pour ainsi dire, sur le
vif, l'état exact des mœurs et des personnes ; et nous pour-
rions alors apprécier d'une façon plus vraie et plus impartiale
cette époque de notre histoire et mieux juger des progrès de
la civihsation chrétienne. Mais celte étude exigerait une œuvre
considérable, qui dépasserait le but de ce travail et les limites
que nous nous sommes imposées.
(1) Décret. Pars X, c. xli.
CONCLUSIONS
I. — Yves de Chartres est certainement auteur d'un ou-
vrage sur le droit canon. Sa réputation de savant et de cano-
niste est attestée par de nombreux témoignages du temps.
IL — Le Prologue et la Panormie en huit livres que nous
possédons appartiennent certainement, à Yves de Chartres.
IIL — On peut affirmer que la Panormie aussi bien que
le Décret ont été composés avec les matériaux de la collection
Tripartita.
IV. — Il y a de grandes probabilités pour que l'auteur de
la collection Tripartita soit Yves de Chartres lui-même.
V. — Le Décret attribué à Yves de Chartres ne présente
pas de caractères certains d'authenticité ; des raisons sérieuses
et décisives militent en faveur de l'opinion contraire.
VI. — En général, les collections du droit canon au onzième
siècle, pas plus que celles des siècles précédents ne sont, à
proprement parler, des œuvres littéraires ; elles sont plutôt
de simples compilations visant surtout à l'utilité pratique.
La méthode et l'art de la composition, même dans les meil-
leures, y font souvent défaut.
VIL — Le Décret et la Panormie sont des monuments de
la Tradition chrétienne, tant au point de vue du Dogme que
de la Morale et de la Discipline.
VIII. — Les textes si nombreux empruntés aux Conseils
de toutes les époques nous donnent une idée de la vie et de
l'action puissante de l'Église à travers les âges.
— 101) ~
IX. Nos deux recueils établissent suffisainment la doctrine
qu'on professait au onzième siècle, sur la suprématie pontifi-
ficale et sur les rapports entre le pouvoir spirituel et les
gouvernements temporels.
X. — Les nombreuses questions soulevées au sujet du
mariage peuvent nous faire connaître l'état des mœurs et des
personnes avant le douzième siècle.
XI. — On peut, d'après nos recueils, juger de l'état de la
législation civile et ecclésiastique alors en vigueur.
XII. — Le Décret et le Panormie ont contribué, pour leur
part, à mettre en lumière les lois romaines et à en faire péné-
trer l'esprit jusque dans nos codes modernes.
XIII. — L'étude de ces recueils peut être d'une grande
utilité pour l'histoire générale de l'Eglise et pour l'histoire de
notre pays.
APPENDICE
La Panormie d'Yves de Chartres a eu trois éditions :
La première est celle de Sébastien Brandt, petit in-Zi° im-
primé à Bàle en lii99. Les caractères de cette édition ont la
forme gothique. Il s'en trouve un exemplaire très bien con-
servé à la Bibliothèque Sainte-Geneviève.
La deuxième édition est celle de Melchior Vosmedianus,
publiée à Louvain en 1557, in-S" d'après un manuscrit trouvé
à Londres. Elle est dédiée à Philippe IL On sait que le roi
d'Espagne avait épousé Marie Tudor morte en 1559 et qu'il
avait tenu sa cour à Londres pendant une quinzaine d'années.
Ces deux éditions sont remplies de fautes. Aussi D. Gellé
qui avait l'intention d'en publier une nouvelle, s'était-il
donné la peine d'y faire de nombreuses corrections. On peut
en voir le détail dans le manuscrit de la Bibliothèque natio-
nale, n" 12317, fol. hO, /il, 42, que nous avons cité à plu-
sieurs reprises dans le cours de notre travail.
Le P. Fronteau dans son édition des OEuvres d'Yves de
Chartres. Paris, 1647, in-fol., préparée par le chanoine Sou-
— 108 —
chet, ne donne point la Panormie; on n'y trouve que le
Décret et les lettres d'Yves.
La troisième édition est celle de la Patrolog. Lat. de Migne,
t. CLXI. Elle paraît n'être que la reproduction de l'édition
de Vosmedianus, par conséquent elle doit contenir aussi de
nombreuses erreurs et de fausses indications.
Il existe à la Bibliothèque nationale comme nous l'avons
dit, de nombreux manuscrits tant dans l'ancien fonds latin
que dans le nouveau. Les titres sont quelquefois différents,
mais le corps de l'ouvrage et les détails sont partout les
mêmes.
II
Le Décret d'Yves de Chartres ou du moins imprimé sous
son nom a eu également trois éditions.
La première est celle de Louvain, en 1557, in-fol. Elle a
été faite par le docteur Dumoulin, professeur à Louvain.
L'éditeur met en marge une espèce de concordance avec le
Décret de Gratien et il annonce dans sa préface qu'il a fait
bon nombre de corrections ; mais il faut avouer qu'il n'a pas
été heureux dans ses corrections, puisque D. Gellé qui s'est
servi de son édition y a trouvé des fautes et des erreurs par
centaines.
La deuxième édition est celle du P. Fronteau, publiée à
Paris en 16/i7. Elle avait été préparée et presque mise en
œuvre par Souchet, chanoine de Chartres, qui s'étant vu
ravir le mérite de ce travail par le Genovefain Fronteau s'en
plaint amèrement dans une brochure assez curieuse. On a
édité cet écrit, dans ces dernières années, à la suite de V His-
toire de Chartres par le même Souchet. (Voir cà la fin du
tome IV.)
Cette deuxième édition est loin d'être correcte. Le docte
— 109 —
chanoine se plaint que les typographes se sont trop hâtés, il
n'a pu, dit-il, faire tout ce qui était nécessaire et il désire de
la part des érudits des notes et des éclaircissements plus
amples. (Voir mss. 12317, 2" préface, fol. /il, fin.)
Souchet reproduisit dans son édition toutes les fautes de la
première, c'est-à-dire les fausses citations, de faux textes attri-
bués à différents Pères de l'Église, de fausses Bécretales, etc.
En un mot, il laissait de la marge aux éditeurs de Tavenir.
C'est sans doute pour cette raison que D. Gellé ne s'est pas
servi de cette édition de 1647, mais de la première pour
faire ses corrections : il n'a pas jugé sans doute cette dernière
plus incorrecte que celle de Fronteau.
La troisième édition du Décret appartient à la Patrol. lat.
de Migne, t. CLXI. Elle n'est que la reproduction de l'édition
de 16/i7. L'éditeur aurait dû se servir de la première édition
de Dumoulin corrigée par D. Gellé ; mais il est probable qu'il
ignorait l'existence de ce manuscrit.
Nous ne revenons pas sur ce que nous avons dit des ma-
nuscrits du Décret, dans le courant de notre travail. Nous
donnerons seulement ici une notice d'un manuscrit du nou-
veau fonds latin qui est annoncé comme contenant le Décret
d'Yves mais qui n'en est que l'abrégé. Ce manuscrit porte
len" l/i809(fol. 31 /i à fol. 393), petit in-/i° épais. Le pre-
mier fol. porte les titres succincts des dix-sept parties du
Décret. Le deuxième contient le Prologue d'Yves, ou plutôt
le commencement du Prologue, il s'arrête à ces mots : qui
potest capere capiat. Il manque les trois premiers chapitres
de la première partie.
La dix-septième partie du Décret manque comme dans
beaucoup de manuscrits et surtout dans les abrégés qui en ont
été faits.
Evidemment, nous n'avons ici qu'un epitome; d'ailleurs,
ce n'est pas en soixante dix-neuf fol., petit m-h° que peut
tenir l'énorme ouvrage attribué à Yves de Chartres.
Il existe à la Bibliothèque nationale, anc. fonds lat. sous
les n°' 3875 3876 deux manuscrits qui contiennent des collée-
- 110 —
tions de droit canon ; mais rien dans ces deux manuscrits
ni dans le titre, ni dans la suite de l'ouvrage, n'indique quels
en peuvent être les auteurs.
Vu et lu en Sorbonne, le 14 juin 1880,
Pour Monseigneur le Doyen,
le plus ancien professeur,
Barges. -^
Vu et permis d'imprimer,
Le Vice-Recteur de l'Académie de Paris,
Gréard.
N.-B. — La Faculté laisse au candidat la responsabilité des opi-
nions émises dans cette thèse.
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos . . 1
Chapitre I<"". — Yves de Chartres, canoniste W» /^
Chapitre II. — La Panormie 2^ % ù
Chapitre III. — La collection Tripartita 4%»--«o^;a.
Chapitre IV. — Le Décret &&-=''-;r~-""~'iig; 2L
Chapitre V. — Méthode et composition T^ C
Chapitre VI. — Doctrines 85 "^ ^
Conclusions 105
Appendice 1 107
— II 108
-•; S<j-e ot FUg, Imp.. pL du PautWon, £«.
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MENU, J.a. BQT
BECJERCHES ... YVES de Chartres. 149'
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